Vous avez dix secondes pour prendre une photo de mes fesses ! " Et hop, il se retourne, baisse le pantalon. " Attendez ! ",
crie une jeune femme qui n'a pas eu le temps de dégainer. Trop tard,
tout est remballé. Bye, bye, les fesses du chorégraphe Dave St-Pierre !
Le spectacle Foudres, à l'affiche samedi 8 février, du Théâtre de la Ville, à Paris, commence.
C'est parti et c'est énorme. Des fesses, on ne risque pas
d'en manquer ! Ils sont vingt-neuf danseurs, hommes et femmes, à poil
sur le plateau comme dans toutes les pièces du Canadien, repéré en 2007
aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis. Mais attention, le
barbu en sweat-shirt et bonnet a insisté et a même quasiment engueulé le
public : à part pendant les dix secondes citées, interdiction de
photographier. Certains des interprètes se sont déjà retrouvés affichés
sur des sites porno. C'est pour cette raison que le chorégraphe a payé
cash de son corps en introduction au spectacle.
La nudité chère à Dave St-Pierre est celle de l'humain dans
son plus simple appareil, naissance et mort, enfance, animalité, sexe et
vie, qui déferlent sur le plateau en gueulant fort. Dans Foudres
(2012), une paire d'ailes blanches apparente les interprètes à des
anges fort peu bibliques. Ils foutent le bazar, cassent tout avec une
férocité joyeuse. Entre la cour de récré, la séance de thérapie
collective, le grand cri primal, la partie de jambes en l'air appliquée à
une poupée gonflable et un supermâle pioché dans le public, un Sacre du printemps très corrigé, et j'en passe, Foudres non seulement foudroie, mais en bouche un coin.
La puissance cinglante, instable et pourtant toujours
excitante du spectacle réside dans sa façon de passer par toutes les
couleurs de l'arc-en-ciel (et le public aussi !) sans que l'on mesure
parfois exactement ce que l'on est en train de voir et comment
l'apprécier. Comique, grotesque, crudité, sentimentalisme, vulgarité,
gravité, se balaient d'un revers de main sans arrêt. A la seconde près
parfois, la situation qui semblait hystériquement dingue, bascule dans
l'angoisse et l'horreur. Le sacrifice de l'amoureux au milieu de son
bouquet de roses blanches se retourne plus vite qu'une crêpe du
ridicule au tragique. Et ainsi de suite, cette cascade de sensations
paradoxales et opposées fait de Dave St-Pierre un émule de Jean qui rit
et Jean qui pleure.
Foudres reconduit le thème du pouvoir de l'amour déjà au travail dans La Pornographie des âmes (2004) et Un peu de tendresse bordel de merde (2006), qui composent, avec Foudres,
une trilogie. Sur des percussions ou des chansons de Sarah Vaughan et
Ella Fitzgerald, ce troisième volet recycle frontalement les idées
d'autres artistes. Il pompe Jan Fabre pour l'architecture des tables et
le sang, Pina Bausch dans une séance de bal en robe longue, Wim
Vandekeybus pour les plans d'ensemble dansés par des interprètes comme
des boulets de canon. Mais aussi repérables soient ces emprunts, Dave
St-Pierre les embarque dans une marée d'humeurs et de gestes qui les
débordent sans leur manquer curieusement de respect.
Comme dans ses précédentes pièces, Dave St-Pierre, qui a
créé sa compagnie en 2004, semble jouer son va-tout frénétiquement, sans
économie ni assurance-vie, sans stratégie non plus. Est-ce le fait
qu'il soit gravement malade ? Il souffre d'une fibrose kystique et a
subi une greffe des deux poumons en 2009. Peut-être. Son tempérament
presque agressif, un peu désespéré, tellement fonceur, s'y est sans
doute aiguisé.
Pour la semaine de la Saint-Valentin, Foudres est une
fête des amoureux à tout casser, bave, sang et sexe, mélangés dans une
étreinte vociférante. Du vivant bien rude, lucide mais qui tient chaud. Foudres
joue en alternance avec les deux autres pièces de la trilogie. Se faire
la totale Dave St-Pierre, pourquoi pas ! Un défouloir orgiaque et
joyeux, partageur en plus, n'est pas monnaie courante au théâtre.
Rosita Boisseau
La Pornographie des âmes,
10 et 14 février.
Un peu de tendresse bordel de merde !,
11 février.
Foudres,
12 et 15 février. Théâtre
de la Ville, place du Châtelet, Paris 4e. Jusqu'au 15 février. 20 h 30.
Tél. : 01-42-74-44-22. De 16 € à 26 €.
© Le Monde
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