mercredi 25 juin 2014

Christophe Jalil Nordman // Entreprenariat informel et genre à Madagascar : le rôle des normes de solidarité et des responsabilités domestiques dans les écarts de performances // Christophe Jalil Nordman

CONCLUSION

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Nous avons utilisé dans cet article un échantillon représentatif d'entreprises informelles à Antananarivo pour mesurer et expliquer l'existence d'un écart de performance entre les unités de production informelles dirigées par des hommes et celles dirigées par des femmes.
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Une fois pris en compte les niveaux des facteurs de production, de capital humain, le secteur d'activité, l'année et la sélection endogène dans l'entreprenariat, l'écart de valeur ajoutée entre les entreprises féminines et masculines est d’environ 33 %, au détriment des femmes. Les rendements du capital des femmes sont inférieurs à ceux des hommes, alors que le travail des entrepreneurs est plus productif lorsqu'il s'agit de femmes. La part de l'écart qui demeure inexpliquée augmente à mesure que l'on remonte le long de la distribution conditionnelle de la valeur ajoutée, ce qui suggère la présence d'un plafond de verre pour les entrepreneures.
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Nous étudions ensuite l’impact différencié des normes de partage au sein de la communauté et de la répartition des tâches au sein du ménage sur la capacité des hommes et des femmes entrepreneurs à atteindre leur frontière de production. Notre analyse suggère que seuls les entrepreneurs masculins sont sujets à la pression à la redistribution de la part du réseau distant, ce qui pourrait être dû aux différences dans le type de migration des hommes et des femmes. Pour les femmes, opérer une activité à domicile n’est pas un handicap en soi, mais cela agit plutôt comme un vecteur de transmission des effets négatifs des normes sociales et de répartition des tâches sur la gestion de l’entreprise. Nos résultats sont compatibles avec des situations dans lesquelles les femmes entrepreneures opérant une activité à domicile ressentiraient davantage le poids de leur propre communauté, sans doute à cause de normes de solidarité contraignantes, mais aussi à cause de leurs responsabilités domestiques.


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Notes

[1]
Les auteurs remercient Flore Gubert, Marc Raffinot, François-Charles Wolff et deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions sur des versions antérieures de cette étude.
[2]
Christophe J. Nordman, UMR DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation), Institut de Recherche pour le Développement et Université Paris-Dauphine, et IZA (Institute for the Study of Labor). nordman@dial.prd.fr
[3]
Julia Vaillant, Gender Innovation Lab, The World Bank et DIAL (Développement, Institutions et Mondialisation). jvaillant@worldbank.org
[4]
Pour une discussion sur la notion ethnique à Madagascar, voir Ramamonjisoa (2002).
[5]
Nous vérifions dans Nordman et Vaillant (2013) que nos variables proxy de la pression à la redistribution sont, en effet, corrélées avec les transferts monétaires donnés et reçus par un entrepreneur, ces transferts étant une mesure directe des normes de partage.

Résumé

Français
À partir d’un échantillon d’entrepreneurs informels à Antananarivo, nous mesurons et expliquons l'existence d'un écart de performance entre les entreprises dirigées par des hommes et des femmes. Nous étudions notamment l’impact des normes de partages au sein de la communauté et de la répartition des tâches au sein du ménage sur l’efficience technique des entreprises. Les entrepreneurs masculins sont sujets à la pression à la redistribution de la part du réseau distant. Pour les femmes, opérer une activité à domicile agirait comme un vecteur de transmission des effets négatifs des normes de solidarité et des responsabilités domestiques sur la gestion de leur entreprise.
Mots-clefs
genre,entreprenariat ,secteur informel ,normes de partage ,allocation du temps au sein des ménages ,Madagascar,Christophe Jalil Nordman
English
Informal entrepreneurship and gender in Madagascar : the role of sharing norms and domestic responsibilities in the performance gap Using a sample of informal entrepreneurs in Antananarivo, we add new evidence on the magnitude of the gender performance gap. After controlling for business and entrepreneur characteristics, we investigate the role of sharing norms and gender-differentiated allocation of time within the household in the gender performance gap, by estimating their effect on the firm technical inefficiency. Only male entrepreneurs seem subject to pressure to redistribute from the distant network. Women working at home feel negatively the burden of their own community due to intense social norms and obligations in their workplace but also to domestic chores and responsibilities.
Keywords
  • gender
  • entrepreneurship
  • informal sector
  • sharing norms
  • time allocation within the household
  • Madagascar

Plan de l'article

  1. 1. LES DONNÉES SUR LES ENTREPRENEURS DU SECTEUR INFORMEL
  2. 2. MESURE DE L’ÉCART DE PERFORMANCE
    1. 2.1 L’effet du sexe de l’entrepreneur sur la valeur ajoutée
    2. 2.2 Décomposition de l’écart de performance selon le sexe de l’entrepreneur
  3. 3 GENRE ET EFFICIENCE TECHNIQUE
    1. 3.1 Cadre conceptuel et mesure des déterminants de l’efficience
    2. 3.2 Déterminants de l'inefficience

  4. CONCLUSION

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