lundi 23 septembre 2013

Raphaëlle Leyris // Le Monde du 20/09/2013:entretien croisé // Romancer les banlieues /Cloé Korman, avec « Les Saisons de Louveplaine », et Loïc Merle, avec « L'Esprit de l'ivresse »


texte intégral pour Gasy sur Mada(etudt,prof) n'en font pas commerce

pour exple Romancer les banlieue 20/09/2013 R Leyris adréssé par mail à tous les amoureux de Dadabe

tout article dispo en texte intégral pour Gasy sur Mada(etudt,prof) n'en font pas commerce


Entretien croisé
Romancer les banlieues
Article paru dans l'�dition du 20.09.13
Cloé Korman, avec « Les Saisons de Louveplaine », et Loïc Merle, avec « L'Esprit de l'ivresse », portent la fiction dans la périphérie des grandes villes, pour y faire souffler la vie et la révolte

Aggrandir la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Imprimer cet article
e souvenir des émeutes de 2005, déclenchées par la mort de deux adolescents de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), poursuivis par la police, dans un transformateur électrique, hante la rentrée littéraire. A l'oeuvre dans Les Renards pâles, de Yannick Haenel (Gallimard, « L'Infini », lire « Le Monde des livres » du 23 août), on le retrouve dans Les Saisons de Louveplaine, de Cloé Korman, et L'Esprit de l'ivresse, de Loïc Merle. Au-delà du motif insurrectionnel présent dans les deux derniers textes à des degrés divers, ce qui frappe est la manière dont les deux auteurs, âgés respectivement de 30 et 35 ans, se sont emparés de la banlieue pour en faire leur matériau romanesque. Comment sont nés vos romans ?
Cloé Korman Mon premier roman, Les Hommes-couleurs (Seuil, 2010), parlait d'émigration, et il m'a semblé évident de continuer à suivre ce fil, en donnant le point de vue des migrants à leur arrivée. J'ai imaginé l'histoire de Nour, une jeune femme algérienne à laquelle son mari, installé en France, ne donne plus de nouvelles ; elle part à sa recherche dans la ville de Louveplaine, où il est censé habiter. Elle est aidée dans sa quête par des adolescents du quartier. Je ne savais pas comment j'allais faire parler mes héros. Alors j'ai organisé un atelier d'écriture avec des lycéens à La Courneuve (Seine-Saint-Denis) pendant six mois. Je les ai retrouvés une fois par semaine pendant six mois : ils devaient écrire le portrait d'un proche. Toute une galerie de personnages a pris forme là, et j'ai appris énormément de choses. Le roman est né de la rencontre entre l'histoire que j'avais imaginée et cette expérience.
Loïc Merle Je voulais dire quelque chose de mes 20 ans, qui ne soit ni ironique ni sarcastique. S'est ajoutée à cela la rencontre avec un quartier dit « difficile » d'Argenteuil (Val-d'Oise), où j'ai travaillé comme professeur d'histoire-géographie. J'y étais pendant les émeutes de 2005. J'ai voulu, sous la forme romanesque, parler de ce quartier, des gens qui y vivent, et puis du silence qui a suivi les émeutes. Cet environnement était nouveau pour moi, et mon expérience à Argenteuil m'avait permis d'aller à rebours de tous les clichés. Il m'a semblé intéressant de bâtir une fiction à partir de tout cela.
C. K. 2005 a beaucoup compté pour moi aussi. J'ai énormément lu à ce sujet, et j'ai assisté, l'année dernière, aux débats de la Cour de cassation, qui a cassé le non-lieu prononcé en faveur des policiers. Il y avait ce point aveugle et horrible : que se passe-t-il dans un transformateur électrique ? Ce seul mot me mettait très mal à l'aise par rapport à un terme comme « intégration ».
L'émeute est centrale dans « L'Esprit de l'ivresse », périphérique dans « Les Saisons de Louveplaine », mais présente. Comment regardez-vous la présence récurrente du thème dans cette rentrée littéraire ?
L. M. C'est peut-être la queue de comète des « années Tarnac » [du nom du groupe soupçonné d'avoir saboté les caténaires d'une ligne de TGV en 2008]. Mais il ne faut pas que cela devienne un thème à la mode. Ni être malhonnête en prétendant que mon roman est un brûlot. C'est une fiction ! Ce qui m'intéresse, ce sont des questions : quand est-ce que ça craque ? quand la rupture du contrat social finit-elle par survenir, à force de laisser des quartiers à l'abandon, ou d'y envoyer des flics brutaux ?
C. K. En ce qui me concerne, parce que j'étais obsédée par ce qui s'était passé en 2005, je ne pouvais pas faire l'impasse sur cette dimension violente : il ne s'agissait pas d'écrire un roman angélique. Plus généralement, je crois qu'une colère très forte est montée pendant la présidence de Nicolas Sarkozy. Elle a pu s'exprimer par le pamphlet ou le pastiche, mais ce n'est pas satisfaisant. Quand on a la capacité de produire du romanesque, la contre-attaque est beaucoup plus intéressante.
Les langues respectives de vos textes, très différentes, sont à mille lieues de celle que l'on associe d'ordinaire à la banlieue. Comment les avez-vous élaborées ?
L. M. Mimer un parler « classes populaires » avec une langue pauvre me hérisse. J'avais commencé par écrire quelque chose de très direct, très énergique, mais ça sonnait faux. Alors j'ai voulu employer la plus belle langue possible. Le travail d'écriture me semble être le meilleur moyen pour combattre le cliché qui s'accroche à la banlieue et à l'immigration. C'est l'arme de l'écrivain
C. K. En tant qu'écrivain, tout ce que je peux, c'est faire entendre des mots. Rendre sensible le rythme d'une phrase ou d'un accent, mettre en évidence la différence des registres entre la langue du quotidien et celle, beaucoup plus solennelle, que les adolescents peuvent employer pour parler de leurs relations sentimentales. Je ne voulais pas plaquer du « littéraire », mais rendre littéraire ce qui était là.
Aviez-vous des références en tête ?
L. M. Je pense à Vies minuscules, de Pierre Michon (Gallimard, 1984). Il parle de « petites gens » dans une langue magnifique.
C. K. J'avais le souvenir de phrases de Céline, notamment pour les points d'exclamation, si rares dans la littérature française. Dans un genre très différent, j'avais en tête des paroles de rap, qui pouvaient aller des chansons de R'n'B sans queue ni tête aux textes de NTM, dont certaines expressions ont été intégrées au langage courant par ma génération.
Comment avez-vous travaillé sur la topographie du quartier des Iris et de Louveplaine ?
L. M. Je voulais que les Iris deviennent un personnage à part entière du roman. Je me suis inspiré du quartier d'Argenteuil que j'ai connu, mais senti libre de changer les choses en fonction de l'intrigue. J'ai procédé en faisant des cartes.
C. K. Moi aussi ! Il était important que telle tour soit toujours au même endroit, que le soleil se lève sur telle rue... J'ai été inspirée par le roman gothique anglais, avec cette héroïne arrivant dans un endroit qui exerce une oppression minérale sur elle, et la manière dont elle s'approprie les lieux, peu à peu. C'était un enjeu politique de mettre en scène le fait qu'elle s'habitue à cette ville, que les habitants ne sont pas, comme on les présente trop souvent, d'éternels arrivants. Et il était important aussi, littérairement et politiquement, que le lecteur, comme Nour, apprenne à s'y repérer.
Avez-vous envie de continuer à arpenter ces territoires ?
L. M. Il est bien possible que je revienne aux Iris par la fiction. Par ailleurs, je parlais du silence qui a suivi les émeutes, du fait qu'un roman est un moyen de le faire cesser. Mais un roman ne suffit pas à tout épuiser.
C. K. Quand je terminais Les Saisons de Louveplaine, j'ai beaucoup regardé la série américaine « Sur écoute » - où les cités de Baltimore, les projects, sont au coeur de l'intrigue, saison après saison. C'était important pour moi qu'il y ait des scènes qui n'aient pas directement trait à l'action, pour qu'on sente que, quand on tourne le dos, les personnages continuent de se rencontrer. Et si j'ai pu donner cette densité-là, alors peut-être que Louveplaine est la matrice de textes à venir.
Raphaëlle Leyris

Aucun commentaire: