A Madagascar, le rugby nourrit les enfants des bidonvilles
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Timy, Lina et Naïmi déboulent en courant sur la pelouse de Marcoussis II. Pas une annexe du centre d’entraînement du XV de France. Mais « le plus beau stade de rugby de Madagascar », assure Ismaël Santoni Rakotomanga. Celui que tout le monde appelle Santo est l’ancien capitaine de l'équipe de Madagascar de rugby. Et « le plus beau stade de rugby » qu’il désigne est en fait une parcelle de terrain coincée entre les rizières et les marécages. Devant l’en-but, quelques canetons pataugent dans les flaques d’eau. Il est à peine 9 heures et déjà plusieurs dizaines de gamins crient et jouent en attendant le début de l’entraînement, en banlieue d’Antananarivo.
Tous les mercredis et samedis, c’est le même pèlerinage : les jeunes entre 4 et 17 ans des quartiers pauvres du sud de la capitale se précipitent, pieds nus, jusqu’au stade du RCT, le Rugby club de Tana. « Ici, nous faisons de l’ “éduc-action”. Nous nous servons du sport pour éduquer », explique Santo qui a créé en 2008 avec un autre ex-capitaine – des Bleus –, Jeff Tordo, l'association Pachamama.
Du club-house sponsorisé par une marque de téléphonie mobile, cinq éducateurs sortent des maillots dépareillés donnés par une fondation caritative. Un seul coup de sifflet résonne et l’entraînement commence. Les petits Malgaches s’assoient en rond autour de leur coach, selon leur âge. Avant les échauffements, séance de civisme obligatoire. « Bonjour, merci… On commence le cours en apprenant des formules de politesse. Les éducateurs doivent aussi vérifier que les enfants ont mangé quelque chose avant de venir et qu’ils sont suffisamment en forme pour jouer », détaille Hasimamy, éducatrice bénévole à Pachamama. Dans un des pays les plus pauvres du monde, la plupart des apprentis rugbymen souffrent souvent de malnutrition. Malgré les rizières à perte de vue autour du stade, certains ne mangent pas à leur faim. En cette période de « soudure », les réserves alimentaires de l’an passé s'épuisent alors que l’heure de la prochaine récolte n’est pas encore arrivée.
Sur le terrain, Timy et les autres courent au petit trot, enchaînent les passes et les feintes. Camille se régale : « Même si je connaissais les Makis [l'équipe nationale], j’ai commencé le rugby ici. » Derrière cet entraînement aux allures banales, l’enjeu est de taille : Pachamama représente l’un des rares liens entre la société et ces jeunes malgaches. Environ 260 enfants participent aux cours de rugby. Tous bénéficient ainsi d’un repas et d’une douche. Au-delà de l'apprentissage de la citoyenneté, l’association apporte une aide sanitaire. Un médecin vient régulièrement les ausculter.
Respect, entraide, fraternité… les valeurs portées par le rugby prennent, ici plus qu'ailleurs, tout leur sens. « Ce qu’ils acquièrent au stade doit être utile à tous, alors nous travaillons en coopération avec leur famille », confirme Santo. Pour contribuer à l’insertion sociale des jeunes, Pachamama essaie, par ricochet, de toucher leurs proches.
Tout essoufflé, Mami, 8 ans, fait une pause au bord du terrain : « Ici, je peux courir, me défouler. Ça me permet de sortir des champs où je travaille avec ma famille. » Comme la plupart des petits sportifs, Mami n’est pas scolarisé. « Dans la rue, je les vois même jouer de l’argent aux cartes. Du coup, je préfère qu’ils soient au stade », reconnaît Ambaitata, un éducateur qui a grandi dans le quartier. Le rugby leur offre une issue. Vero, 17 ans, a grandi dans un bidonville proche du club. Elle est aujourd'hui sélectionnée en équipe nationale féminine.
Dernier quart d’heure avant la fin de l’entraînement. Les plus petits redoublent d’énergie pour garder le ballon. Toujours pieds nus, ils se jettent les uns sur les autres, enchaînent les plaquages sous l’oeil rigolard de quelques passants attendris. « Les joueurs savent bien que travailler ensemble leur permettra de remporter la manche », glisse Hasimamy. Au coup de sifflet final, c’est une nuée qui s’envole vers les vestiaires et les douches.
La deuxième partie du travail commence alors pour les éducateurs. « Dans les vestiaires, nous essayons d’être attentifs à l’état de santé des enfants, aux blessures infectées, aux piqûres… Et nous leur apprenons à se laver », détaille Santo. Pendant que les plus âgés nettoient les maillots et les font sécher sur l'herbe, les petits passent à table. Personne ne part sans avoir englouti son romazava, un plat traditionnel malgache, mélange de viande en sauce et de riz. C’est avant tout ce repas qui permet de s’assurer de l’assiduité des enfants. Si les membres de Pachamama rêvent d’un jour installer une bibliothèque à Marcoussis II ou d'ouvrir d'autres centres, chaque fin d’entraînement les ramène à la réalité : ces enfants ont avant tout besoin de se nourrir. Ça tombe bien, Pachamama, c’est la Terre Mère.
Pauline Amiel (Antananarivo, envoyée spéciale)
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