La drépanocytose,
maladie génétique la plus fréquente en France, sera-t-elle un jour
dépistée chez tous les nouveau-nés, comme la mucoviscidose,
l'hypothyroïdie congénitale, la phénylcétonurie, et l'hyperplasie
congénitale des surrénales ? Forme potentiellement grave d'anémie due à
une anomalie de l'hémoglobine, cette pathologie est méconnue dans notre
pays, du moins en métropole. Elle concerne pourtant au moins 12 000
personnes, essentiellement originaires d'Afrique subsaharienne, de
certaines régions de la péninsule Arabique, de l'Inde et du pourtour
méditerranéen. Comme la mucoviscidose, la drépanocytose ou hémoglobinose
S est une maladie génétique transmise sur un mode dit " autosomique
récessif " : elle ne s'exprime que si un individu a hérité de deux gènes
mutés (SS), provenant de chacun de ses parents qui sont, eux, porteurs
sains (hétérozygotes ou AS).
Du fait des particularités ethniques, un programme de
dépistage néonatal peu banal a été instauré sur le territoire, en 2000.
La recherche de la drépanocytose, effectuée en maternité, est
systématique dans les départements d'outre-mer, et ciblée en métropole
chez les bébés dont les parents sont originaires de zones à risque.
Mais les associations et bien des spécialistes plaident pour
un dépistage universel. Leurs arguments sont à la fois scientifiques
(ils soulignent, entre autres, qu'une prise en charge plus tardive des
enfants non repérés augmente les risques de complications), mais aussi
éthiques. Le ciblage peut, en effet, être vécu comme une forme de
discrimination, stigmatisant encore un peu plus cette " maladie de Noirs ".
Saisie par la Direction générale de la santé (DGS) sur cette
question délicate, la Haute Autorité de santé (HAS) vient de rendre son
verdict le 11 mars. Un dépistage néonatal systématique en métropole
n'est pas justifié, estime la HAS, dans un rapport de 130 pages. Pour
nourrir sa réflexion, l'institution s'est appuyée sur la littérature
nationale et internationale, et sur une dizaine d'auditions d'experts
(médecins, spécialistes de sciences sociales, associations de malades…).
Dans le monde, plusieurs pays ont opté pour un dépistage
néonatal (DNN) de la drépanocytose, avec des modalités variées. Celui-ci
est systématique aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, rappelle le rapport
de la HAS, qui précise qu'" un consensus s'est dégagé sur l'idée
qu'un dépistage ciblé, fondé sur l'ethnicité maternelle, soulevait des
questions pratiques et éthiques que les décideurs politiques avaient
voulu éviter. Le souhait de promouvoir un dépistage uniforme a contribué
au choix du dépistage néonatal universel de la drépanocytose dans ces deux pays. "
Il relève aussi que les contraintes légales de consignation de
l'information sur l'origine familiale dans les dossiers médicaux et les
bases administratives y sont bien différentes de celles en vigueur en
France, où la loi interdit la collecte et le traitement de " données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques ".
La HAS s'est également penchée sur les résultats de la
stratégie nationale, ciblée. En 2012, celle-ci a permis d'identifier 382
cas de drépanocytose chez les 309 858 nouveau-nés testés – soit un
tiers de ceux qui ont vu le jour en métropole. Le nombre de nouveau-nés
dépistés est stable depuis 2006, alors que le pourcentage de tests en
métropole a augmenté dans cette période (de 27 % à 34 %).
Sur le plan médical, le dépistage néonatal permet de mettre
en place une prise en charge spécialisée du nourrisson et des mesures
préventives, avant que les symptômes n'apparaissent, à partir de trois
mois de vie. Ceux-ci sont principalement de trois types : anémie,
sensibilité aux infections bactériennes et crises douloureuses, liées à
l'obstruction de petits vaisseaux par les globules rouges anormaux. Le
repérage précoce permet aussi d'éduquer les parents.
" La question qui nous était posée était celle de
l'intérêt, en termes de santé publique, d'un élargissement du dépistage
néonatal ; les données disponibles ne permettent pas de le démontrer, résume le professeur Jean-Luc Harousseau, président de la HAS. Le
surcoût lié aux tests supplémentaires à réaliser peut être évalué – 180
000 euros annuels pour la région Ile-de-France ; 1,5 million d'euros
pour la France entière – mais pas son efficacité. Nous ne
recommandons donc pas une extension du dépistage actuel, d'autant qu'il
n'y a pas de signal que celui-ci soit défaillant. "
Une conclusion qui risque de laisser sur leur faim les
associations et spécialistes auditionnés par la HAS favorables au
dépistage universel. " Dépasser le dépistage ciblé, c'est dépasser
l'idée d'une maladie communautaire, permettre une égalité de traitement
pour une meilleure qualité de soin pour tous, sans distinction des
origines, et une meilleure conception et compréhension de la maladie
pour le personnel soignant ", déclarait ainsi Karim Khadem, président de SOS Globi Rhône-Alpes, lors de son audition.
Quid du repérage des hétérozygotes (qui n'ont qu'un seul
gène muté) par le dépistage néonatal ? Faut-il informer les parents, et
plus tard le principal intéressé, qu'il est porteur d'un défaut
génétique sans conséquences sur sa santé, mais qu'il peut transmettre
dans sa descendance ? " C'est un sujet complexe, pour lequel ce n'est
pas à la HAS de trancher ; mais nous amenons un outil de travail pour
aider les professionnels dans cette réflexion ", estime Jean-Luc Harousseau.
Sandrine Cabut
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