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Jeunes, apolitiques, entreprenants... portrait de la nouvelle élite noire
Sous la haute "Réfléchir aujourd'hui pour agir demain". "Sur nos 20 000 collaborateurs sur le continent, 19 900 sont noirs. Il faut travailler avec les diasporas","L'union fait la force", "Cela fait trop longtemps que l'on montre les Noirs sous l'angle de la banlieue",
Premier club créé par des Noirs pour des Noirs, le club Efficience,
organisateur de la soirée, est une nouveauté dans le paysage français.
Son credo : montrer que les Noirs réussissent, tout faire pour qu'ils ne
soient plus assimilés aux termes "précarité" ou "délinquance", et
favoriser l'émergence d'une "élite noire". L'adjectif "noir" est assumé.
Tant pis pour le tabou français sur les origines.
Longtemps, le club a été observé avec méfiance. Mais son lobbying trouve de plus en plus d'oreilles attentives. Le dîner d'affaires n'est désormais plus que l'une de ses activités. Le club, créé en 2008, et qui revendique aujourd'hui 500 membres actifs, organise aussi chaque année une "bourse d'excellence" pour des jeunes de toutes les origines issus de milieux défavorisés. Parrainée par l'Essec, Polytechnique et Sciences Po, la dernière a été remise en 2013, au lycée Louis-le-Grand, des mains de George Pau-Langevin, alors ministre déléguée à la réussite éducative.
Ces dernières années, le club Efficience s'est surtout fait remarquer pour la publication d'un gros livre rouge en couverture similicuir : Le Gotha noir, premier Who's Who des personnalités "afro-françaises". Un ouvrage publié tous les deux ans depuis 2010. L'édition 2012 s'est vendue à 5 000 exemplaires, selon le club. La prochaine devrait sortir à l'automne. Le répertoire réunit la plupart des figures de la diversité noire française : de l'animatrice de télévision Karine Le Marchand à la ministre de la justice Christiane Taubira. Il rassemble surtout une liste impressionnante de médecins, universitaires, ingénieurs...
« NOUS DISONS JUSTE À LA FRANCE : "NOUS SOMMES LÀ !" »
Un recueil de parcours dû au travail de fourmi d'Elie Nkamgueu, le président du club Efficience, dentiste de métier, installé à Champigny-sur-Marne. A chaque édition, ce Franco-Camerounais au talent inné pour les relations publiques se met en quête de nouveaux visages. Il chasse sur LinkedIn ou Viadeo. La première fois qu'il est arrivé avec ses portraits sous le bras, il a essuyé un refus poli du milieu de l'édition. Il a dû se débrouiller pour publier à compte d'auteurs. Mais, en 2012, il a obtenu sa revanche : que l'ouvrage soit préfacé par Olivier Stirn, le monsieur "diversité" de l'UMP. "Nous ne faisons pas de communautarisme, nous disons juste à la France : "Nous sommes là !"", plaide M. Nkamgueu.
Faire front sans prêter le flanc aux accusations A 42 ans, Orphée Makiese est de ceux dont les parents sont venus comme étudiants. Il reçoit en blouse blanche entre deux patients dans le bureau de sa clinique de Bagnolet, en banlieue parisienne. Il a hésité avant d'accepter d'expliquer pourquoi il avait rejoint le club Efficience. Fils de médecin, franco-congolais, il a grandi dans la France picarde, à Saint-Quentin, dans l'Aisne. Mais il appartient malgré lui à cette génération étiquetée "d'origine étrangère", bardée de diplômes, et qui a du mal à obtenir les places les plus cotées. "Je me sens plus français que noir, lâche-t-il d'emblée, grave. Mais si la France se dit sans race, en pratique, c'est par le réseau que les choses fonctionnent. Jusque-là les Noirs n'avaient pas cette culture, mais ça sera le seul moyen de dépasser le boulet de la colonisation."La spécialité du docteur Makiese est rare : la neurochirurgie mini-invasive. Après son internat, il a passé deux ans aux Etats-Unis, à Columbus, dans l'Ohio. Mais son rêve d'intégrer un grand hôpital du centre parisien reste pour l'heure compliqué. ""Vous venez d'où ? Vous avez fait vos études ici ?", me demandent souvent mes patients. Ce n'est qu'une fois que j'ai dit "oui" qu'ils me font confiance."
"Elite", beaucoup parmi cette nouvelle classe noire hésitent encore à l'assumer. Trop lourd. Trop connoté "corruption" pour ceux qui ont grandi en Afrique. Ils y aspirent toutefois. Ils ont même leurs modèles : le Franco-Béninois Lionel Zinsou, président de PAI Partners, ou Tidjane Thiam, ce Franco-Ivoirien, X-Mines, parti outre-Manche parce que aucun chasseur de têtes ne l'appelait... Aujourd'hui, Tidjane Thiam est aux commandes de l'assureur Prudential et le premier patron noir d'une entreprise du "Footsie", le CAC 40 anglais.
Cette génération s'assumerait-elle mieux si des statistiques ethniques mesuraient sa progression ? C'est ce que certains veulent croire, regrettant que la recherche s'intéresse trop à elle sous l'angle des discriminations. D'après l'un des rares sondages réalisé auprès des populations noires en France, on comptait, en 2007, près de trois fois plus de chômeurs dans leurs rangs que dans le reste de la population. Mais, sur ces 5 millions de personnes se définissant comme noires, les actifs étaient autant artisans ou techniciens que le reste des Français. Les Noirs étudiaient même deux fois plus. Le portrait en creux d'un "groupe en pleine dynamique de promotion", concluait Patrick Lozès, fondateur du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) dans un petit livre, Les Noirs sont-ils des Français à part entière ? (Larousse, 2009).
« JE N'ALLAIS PAS ATTENDRE QU'ON ME DONNE MA CHANCE »
A défaut de chiffres, le brainstorming va bon train pour essayer de qualifier cette génération : "Afropolitaine" ? "Afropéenne" ? Rien ne fait l'unanimité. Or, à la différence de ses parents, elle ne partage plus forcément l'idée qu'une intégration réussie, c'est se fondre dans la masse. Les filles ont jeté les produits éclaircissants de leur mère. Assument leurs cheveux crépus. Elles sont noires et veulent que cela se voie. Adama Ndiaye, 37 ans, styliste, connaît sans doute l'un des succès les plus emblématiques de cet esprit. Col roulé rouge, gloss écarlate, cheveux portés naturels, elle décrit dans un bistrot bruyant de la gare de Lyon sa progressive affirmation. Fille de bonne famille sénégalaise, elle est arrivée en France à l'âge de 3 ans. Enfance sage. Codes bourgeois.
C'est en 2012 qu'elle a tout balayé, en important à Paris un concept qu'elle avait lancé l'année d'avant, à Prague : "la Black Fashion Week". Un parti pris qui a fait jaser le petit milieu de la mode parisienne. Une semaine de défilés réalisés uniquement avec des créateurs et des mannequins noirs. "Quand on me disait "c'est anti-Blanc", je rétorquais qu'en 2011 il n'y avait que sept mannequins noirs dans la Fashion Week de Paris, s'agace-t-elle. La Black Fashion Week n'était pas une réponse à un problème de race, mais de manque de travail. Je n'allais pas attendre qu'on me donne ma chance." Au départ, Adama s'est lancée avec 10 000 €, une machine à coudre et son DESS de sciences économiques. Désormais, elle vit entre Paris, Dakar et Londres. Elle est à la tête d'un événement qui est devenue une institution au Sénégal - la Fashion Week de Dakar - et travaille là-bas à un projet de chaîne télévisée, façon Fashion TV.
Adama appartient en fait à cette élite littéralement happée, en quelques années, par la croissance économique du continent africain, malgré les guerres et les taux de pauvreté record qui y perdurent. Une classe émergente dont on pouvait avoir un aperçu, le vendredi 14 mars, au premier étage de la boutique Häagen Dazs, en haut des Champs-Elysées. Dans ce bar design aux couleurs de la marque de glaces avait lieu ce jour-là la conférence de presse de lancement de la Foire africaine. Du 16 au 19 mai, le plus gros Salon européen d'exposition-vente du continent accueillera, à la halle Freyssinet à Paris, des stylistes, des restaurateurs, des agences de voyage comme des professionnels de l'immobilier pour la diaspora.
A l'entrée du bar, un photographe était chargé d'immortaliser les personnalités devant un mur avec les logos des sponsors. On pouvait croiser la franco-béninoise Flora Coquerel, Miss France 2014, marraine officielle du Salon. Deux animateurs de Télésud, une chaîne diffusée sur le câble, et de TV5 Monde avaient été débauchés pour l'animation. Au pupitre, le président de la chambre de commerce africaine vantait la stabilité des investissements sur le continent. Et, dans le public trié sur le volet, on pouvait entendre dans le même temps une des présentatrices vedettes d'Africa 24, Hortense Assaga, s'enthousiasmer : "Abidjan, c'est New York maintenant ! C'est là-bas que ça bouge !"
UNE ÉLITE CONVOITÉE PAR LES GRANDS GROUPES
Parfois moquée, en Afrique, pour son accent et ses habitudes "françaises", la nouvelle élite noire est de plus en plus convoitée par les grands groupes qui cherchent à se développer sur le continent. Des chasseurs de têtes spécialisés se sont créés : Africa Search, Mane Gere... Les cadres et ingénieurs nés en Afrique avec diplôme français sont particulièrement prisés. Plus encore, ceux qui ont intégré là-bas des filiales de grands groupes anglo-saxons (comme Microsoft ou Coca-Cola) et qui ont grimpé rapidement les échelons, loin du plafond de verre français. Ces cabinets voient aussi arriver un nombre croissant de candidatures de jeunes nés en France, soudain fascinés par un continent où semblent pleuvoir les dollars, et où, se disent-ils, leur couleur de peau sera une valeur ajoutée.
Il n'y a pas toutefois que des gens bien nés dans cette nouvelle élite. Surtout chez les Antillais. La plupart ont des parents qui occupent de petits emplois de la fonction publique : agent d'entretien, agent d'accueil, aide-soignante. Et beaucoup ont à ce titre grandi en banlieue. C'est le cas d'Angélique Zettor, 29 ans. Grande, mince, look décontracté, elle est aujourd'hui l'heureuse patronne de Genymobile, une boîte de nouvelles technologies spécialisée sur Android. En trois ans, elle est passée de 3 à 45 salariés et de locaux de la taille d'une chambre de bonne à un loft de 160 m2 au coeur de Paris. Elle les fait visiter en riant, désignant là le baby-foot qu'elle a tenu à mettre dans l'entrée, ici les fauteuils vert fluo pour les visiteurs.
D'origine réunionnaise, elle a passé son enfance dans une cité difficile d'Athis-Mons (Essonne). Sa mère, agent hospitalier, l'a élevée seule avec ses trois demi-soeurs. Angélique a financé ses études à coups de bourses, de crédits, et de petits boulots le week-end à l'aéroport d'Orly. Elle a juste eu la chance, estime-t-elle, d'avoir "aimé l'école" et d'y avoir "toujours été première". C'est le réseau communautaire qui est venu la chercher à force d'entendre citer son nom lors des jurys des prix d'innovation. Outre Mer Network (OMN) en l'occurrence. Moins connu que le club Efficience, l'association n'en a pas moins un entregent redoutable et organise tous les deux mois des soirées "networking" sur une péniche amarrée près de la gare de Lyon. Le bateau est prêté par Jocelyn Golitin, 55 ans, pilier du tourisme fluvial parisien et modèle de réussite antillaise. Le décor est sobre, contemporain, efficace.
Ce jeudi 13 mars, ils sont quatre, assis à fond de cale face à un public d'une quarantaine de personnes. Il y a le patron d'une start-up dans les systèmes d'information, un chocolatier, un pharmacien. La quatrième est la fondatrice de Kadalys, une marque de cosmétique bio à base de feuilles de bananier. C'est à son tour de parler de son parcours : "L'idée était de créer une marque "tropical chic"", résume Shirley Billot, sa créatrice, d'origine martiniquaise. Pas de long discours dans les soirées d'OMN. Il faut "pitcher". En clair, se présenter en cinq minutes, être drôle si possible. Le but est avant tout de se faire connaître. De donner l'idée à d'autres de se lancer. Puis de boire un verre.
Daniel Hierso est le fondateur d'Outre Mer Network. Ce Martiniquais de 42 ans et de 1,90 m, à la voix de stentor, a grandi dans une cité de Colombes (Hauts-de-Seine). Un autodidacte à poigne qui a débuté en créant une société de gardiennage. L'idée d'Outre Mer Network lui est venue en 2009, lors des émeutes à la Guadeloupe et à la Martinique : « J'écoutais une émission de libre antenne et je n'entendais que des témoignages de victimisation. Ça m'a gonflé." Son leitmotiv : la création d'entreprise est l'un des meilleurs moyens de contourner les barrières sociales. "Même si, pour 100 qui galèrent, il n'y en a qu'un qui réussit, pendant ce temps, il y en a 30 qui montent", estime-t-il.
"GÉNÉRATION ROOTS"
Une fois par semaine, Daniel Hierso anime ainsi une émission sur Tropiques FM où il donne la parole à des talents ultra-marins. Proche de réseaux d'entrepreneurs très investis dans les quartiers (la Nouvelle PME, Mozaik RH...), il développe aussi des ateliers en banlieue. Invite des grands patrons à se faire coach, comme Xavier Fontanet, ex-directeur général d'Essilor, ou Franck Riboud (PDG de Danone). Joue les business angel en lien avec des fonds d'investissement. Travaille même avec les réseaux d'entrepreneurs américains parrainés par Michelle Obama.
A l'instar d'une bonne part de la nouvelle élite noire, Daniel Hierso est persuadé que, pour transformer l'essai, il faut réussir à tirer ceux qui sont encore en bas de l'échelle. Les "nés en Afrique" cultivent souvent le rêve d'agir dans leur pays d'origine ; pour les autres, c'est en France que la bataille est lancée. Michael Kamdem, 27 ans, croit ainsi dur comme fer à la force des modèles. Des exemples dont il a décidé de faire le coeur de son magazine, Roots. Une revue trimestrielle gratuite tirée à 10 000 exemplaires sur papier glacé. Y défilent les portraits de ceux, noirs et français, qui percent dans la mode, la finance, la cuisine, l'hôtellerie... "Au départ, on me disait : "C'est joli, mais est-ce que tu arriveras à en faire d'autres ?" Je leur répondais toujours : "Jusqu'à ma mort !"."
Michael reçoit dans les locaux de sa petite rédaction, situés près des boulevards des Maréchaux, dans l'est parisien. Il est à l'image de son magazine : fringué, connecté, iPad, blouson de cuir et mocassins bleus. Né à Paris de parents camerounais, il a grandi dans le 19e arrondissement. Initialement, Roots était un projet de fin d'études de commerce, à Angers. Aujourd'hui, il est distribué dans tous les lieux fréquentés par les Afro-Antillais de la capitale. Restaurants chics comme boutiques de Châtelet-Les-Halles. De 50, il est passé à 200 pages. Les annonceurs se bousculent. Michael a fini par théoriser le concept de "génération roots". Une génération à qui il resterait moins de barrières sociales qu'intellectuelles à franchir. Celle du racisme surtout, pense-t-il. Il en a fait l'amère expérience mais préfère balayer, provocateur : "Ça ne fait pas mourir." Chargée de l'éditorial de Roots, Diane Audrey Ngako, 23 ans, a sa formule magique : "Black is not just beautiful, black is brilliant !"
S'autopersuader du succès à venir plutôt que s'estimer battu d'avance, "L'amour de Dieu transforme des gens ordinaires en champions.""Ma mère était vendeuse de fruits au marché, mon père chauffeur de minibus", Ferdinand n'est pas investi en politique. Il ne se sent concerné ni par les appels à des "réparations" pour l'esclavage ni par les réclamations pour plus de représentativité en politique. Il préfère croire à l'effet masse : "Quand le bruit prendra de l'ampleur, arrivera un moment où on ne pourra plus l'étouffer."
« ON EST DES ACTEURS DU SYSTÈME »
Une attitude classique de cette génération. Plus soft que hard power, elle enterre, à sa manière, le militantisme des années 2000 qui s'est développé dans le sillage de l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle. Celui, radical, de la Tribu Ka, qui a défendu, entre 2004 et 2006, la supériorité du peuple noir. Celui, plus social du CRAN, créé dans la foulée des émeutes en banlieue de 2005. Ou même celui d'un Dieudonné, qui a dérivé vers l'antisémitisme. Aujourd'hui, au contraire, les réseaux d'amitiés juives servent de modèles aux nouveaux réseaux noirs. Les vieux clivages entre Africains et Antillais sont en train d'être dépassés. Comme il en existe aux Etats-Unis, plusieurs portails d'actualités sur les diasporas afro-antillaises se sont aussi créés : NegroNews, Noir & Fier... Derrière ces intitulés, on trouve des trentenaires propres sur eux, avec des diplômes d'informatique, de finance, et des stages chez Total à la Défense. "On a changé de paradigme, explique Boris, de Noir & Fier. On n'a plus besoin que d'autres revendiquent que nous soyons intégrés. On est des acteurs du système."
Cette affirmation identitaire a dans le même temps permis à tout un marché pour les Noirs de se développer en France. Un secteur à part entière, porté principalement par l'essor des cosmétiques pour peaux et cheveux afro. Le 15 mars, au Tapis Rouge, un espace événementiel dont Jacques Chirac avait fait son QG de campagne en 2002, on pouvait ainsi croiser des centaines de jeunes femmes ayant payé entre 35 et 60 € pour participer à une "natural hair academy". Dans le décor Belle Epoque du Tapis Rouge, elles pouvaient, ce jour-là, accéder durant une journée entière à des stands de maquillage spécialisé et des ateliers sur le traitement des cheveux crépus. L'agence Ak-a avait organisé l'événement.
Créée en 2005 par un frère et une soeur d'origine guadeloupéenne, Didier et Gwladys Mandin, 36 et 32 ans, Ak-a est la première agence de marketing ethnique spécialisée sur les Noirs et les métis. Avec l'autorisation de la CNIL, elle a pu constituer un panel de 20 000 consommateurs, qui suscite l'intérêt de plus en plus d'enseignes. Or l'un des rêves secrets des acteurs du secteur relève autant de l'opportunité que de la bataille d'image : faire en sorte qu'à terme, à Paris par exemple, mères et filles ne soient plus obligées de venir jusqu'à Château-d'Eau, coeur historique des salons de coiffure afro, pour s'approvisionner. Leur permettre d'éviter, à l'avenir, ce boulevard du 10e arrondissement de Paris où se disputent rabatteurs et coiffeuses sans-papiers. Développer les salons lounge comme Maridié, dans le 19e arrondissement. En un mot : sortir du ghetto.
Autre secteur, même combat chez les Black Fahrenheit (BF), deux cousins d'origine congolaise qui organisent des soirées privées convoitées. Look branché, barbe taillée, à presque 40 ans, Freddy Kabala et Jean Ichakou n'excluent pas les Blancs de leurs événements, mais la logique du réseau fait qu'ils y sont rares. Quand BF s'est monté, en 2011, Freddy et Jean ont bataillé pour que les établissements des Champs-Elysées leur ouvrent leurs portes. Les Champs-Elysées, ou la consécration sociale : "C'était comme si on avait voulu nous faire comprendre que nos soirées ne pouvaient se passer qu'en banlieue ou dans les vieilles boîtes afro pleines de prostituées où dansaient nos parents, expliquent-ils avant d'asséner : On ne ferait pas ce que l'on fait si la France n'avait pas raté un épisode de son intégration."
Ils ont finalement réussi à se tailler leur place et, pour l'une de leurs dernières soirées, le 11 avril, ils avaient privatisé le bar de l'Hôtel Renaissance, avenue Wagram, près de l'Arc de Triomphe : déco indonésienne lounge, néons feutrés sous les cloisons, serveurs blancs impeccables. Ce soir-là, on pouvait croiser tous les visages, tous les parcours de la nouvelle élite. Les bien-nés comme ceux des cités. L'événement était parrainé par un jeune chef d'entreprise franco-camerounais lyonnais soucieux de faire parler de sa société d'informatique - Objis - et de ses envies de développement en Afrique. Aucune entrée à payer pour cette soirée chic et glamour. Pour participer, il fallait juste faire partie du listing minutieusement établi par les Black Fahrenheit. La soirée s'intitulait sobrement "L'air du temps". Mais les tenues sophistiquées des uns et les regards à l'affût des autres trahissaient une certitude : l'assurance d'appartenir à l'avenir.
Longtemps, le club a été observé avec méfiance. Mais son lobbying trouve de plus en plus d'oreilles attentives. Le dîner d'affaires n'est désormais plus que l'une de ses activités. Le club, créé en 2008, et qui revendique aujourd'hui 500 membres actifs, organise aussi chaque année une "bourse d'excellence" pour des jeunes de toutes les origines issus de milieux défavorisés. Parrainée par l'Essec, Polytechnique et Sciences Po, la dernière a été remise en 2013, au lycée Louis-le-Grand, des mains de George Pau-Langevin, alors ministre déléguée à la réussite éducative.
Ces dernières années, le club Efficience s'est surtout fait remarquer pour la publication d'un gros livre rouge en couverture similicuir : Le Gotha noir, premier Who's Who des personnalités "afro-françaises". Un ouvrage publié tous les deux ans depuis 2010. L'édition 2012 s'est vendue à 5 000 exemplaires, selon le club. La prochaine devrait sortir à l'automne. Le répertoire réunit la plupart des figures de la diversité noire française : de l'animatrice de télévision Karine Le Marchand à la ministre de la justice Christiane Taubira. Il rassemble surtout une liste impressionnante de médecins, universitaires, ingénieurs...
« NOUS DISONS JUSTE À LA FRANCE : "NOUS SOMMES LÀ !" »
Un recueil de parcours dû au travail de fourmi d'Elie Nkamgueu, le président du club Efficience, dentiste de métier, installé à Champigny-sur-Marne. A chaque édition, ce Franco-Camerounais au talent inné pour les relations publiques se met en quête de nouveaux visages. Il chasse sur LinkedIn ou Viadeo. La première fois qu'il est arrivé avec ses portraits sous le bras, il a essuyé un refus poli du milieu de l'édition. Il a dû se débrouiller pour publier à compte d'auteurs. Mais, en 2012, il a obtenu sa revanche : que l'ouvrage soit préfacé par Olivier Stirn, le monsieur "diversité" de l'UMP. "Nous ne faisons pas de communautarisme, nous disons juste à la France : "Nous sommes là !"", plaide M. Nkamgueu.
Faire front sans prêter le flanc aux accusations A 42 ans, Orphée Makiese est de ceux dont les parents sont venus comme étudiants. Il reçoit en blouse blanche entre deux patients dans le bureau de sa clinique de Bagnolet, en banlieue parisienne. Il a hésité avant d'accepter d'expliquer pourquoi il avait rejoint le club Efficience. Fils de médecin, franco-congolais, il a grandi dans la France picarde, à Saint-Quentin, dans l'Aisne. Mais il appartient malgré lui à cette génération étiquetée "d'origine étrangère", bardée de diplômes, et qui a du mal à obtenir les places les plus cotées. "Je me sens plus français que noir, lâche-t-il d'emblée, grave. Mais si la France se dit sans race, en pratique, c'est par le réseau que les choses fonctionnent. Jusque-là les Noirs n'avaient pas cette culture, mais ça sera le seul moyen de dépasser le boulet de la colonisation."La spécialité du docteur Makiese est rare : la neurochirurgie mini-invasive. Après son internat, il a passé deux ans aux Etats-Unis, à Columbus, dans l'Ohio. Mais son rêve d'intégrer un grand hôpital du centre parisien reste pour l'heure compliqué. ""Vous venez d'où ? Vous avez fait vos études ici ?", me demandent souvent mes patients. Ce n'est qu'une fois que j'ai dit "oui" qu'ils me font confiance."
"Elite", beaucoup parmi cette nouvelle classe noire hésitent encore à l'assumer. Trop lourd. Trop connoté "corruption" pour ceux qui ont grandi en Afrique. Ils y aspirent toutefois. Ils ont même leurs modèles : le Franco-Béninois Lionel Zinsou, président de PAI Partners, ou Tidjane Thiam, ce Franco-Ivoirien, X-Mines, parti outre-Manche parce que aucun chasseur de têtes ne l'appelait... Aujourd'hui, Tidjane Thiam est aux commandes de l'assureur Prudential et le premier patron noir d'une entreprise du "Footsie", le CAC 40 anglais.
Cette génération s'assumerait-elle mieux si des statistiques ethniques mesuraient sa progression ? C'est ce que certains veulent croire, regrettant que la recherche s'intéresse trop à elle sous l'angle des discriminations. D'après l'un des rares sondages réalisé auprès des populations noires en France, on comptait, en 2007, près de trois fois plus de chômeurs dans leurs rangs que dans le reste de la population. Mais, sur ces 5 millions de personnes se définissant comme noires, les actifs étaient autant artisans ou techniciens que le reste des Français. Les Noirs étudiaient même deux fois plus. Le portrait en creux d'un "groupe en pleine dynamique de promotion", concluait Patrick Lozès, fondateur du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) dans un petit livre, Les Noirs sont-ils des Français à part entière ? (Larousse, 2009).
« JE N'ALLAIS PAS ATTENDRE QU'ON ME DONNE MA CHANCE »
A défaut de chiffres, le brainstorming va bon train pour essayer de qualifier cette génération : "Afropolitaine" ? "Afropéenne" ? Rien ne fait l'unanimité. Or, à la différence de ses parents, elle ne partage plus forcément l'idée qu'une intégration réussie, c'est se fondre dans la masse. Les filles ont jeté les produits éclaircissants de leur mère. Assument leurs cheveux crépus. Elles sont noires et veulent que cela se voie. Adama Ndiaye, 37 ans, styliste, connaît sans doute l'un des succès les plus emblématiques de cet esprit. Col roulé rouge, gloss écarlate, cheveux portés naturels, elle décrit dans un bistrot bruyant de la gare de Lyon sa progressive affirmation. Fille de bonne famille sénégalaise, elle est arrivée en France à l'âge de 3 ans. Enfance sage. Codes bourgeois.
C'est en 2012 qu'elle a tout balayé, en important à Paris un concept qu'elle avait lancé l'année d'avant, à Prague : "la Black Fashion Week". Un parti pris qui a fait jaser le petit milieu de la mode parisienne. Une semaine de défilés réalisés uniquement avec des créateurs et des mannequins noirs. "Quand on me disait "c'est anti-Blanc", je rétorquais qu'en 2011 il n'y avait que sept mannequins noirs dans la Fashion Week de Paris, s'agace-t-elle. La Black Fashion Week n'était pas une réponse à un problème de race, mais de manque de travail. Je n'allais pas attendre qu'on me donne ma chance." Au départ, Adama s'est lancée avec 10 000 €, une machine à coudre et son DESS de sciences économiques. Désormais, elle vit entre Paris, Dakar et Londres. Elle est à la tête d'un événement qui est devenue une institution au Sénégal - la Fashion Week de Dakar - et travaille là-bas à un projet de chaîne télévisée, façon Fashion TV.
Adama appartient en fait à cette élite littéralement happée, en quelques années, par la croissance économique du continent africain, malgré les guerres et les taux de pauvreté record qui y perdurent. Une classe émergente dont on pouvait avoir un aperçu, le vendredi 14 mars, au premier étage de la boutique Häagen Dazs, en haut des Champs-Elysées. Dans ce bar design aux couleurs de la marque de glaces avait lieu ce jour-là la conférence de presse de lancement de la Foire africaine. Du 16 au 19 mai, le plus gros Salon européen d'exposition-vente du continent accueillera, à la halle Freyssinet à Paris, des stylistes, des restaurateurs, des agences de voyage comme des professionnels de l'immobilier pour la diaspora.
A l'entrée du bar, un photographe était chargé d'immortaliser les personnalités devant un mur avec les logos des sponsors. On pouvait croiser la franco-béninoise Flora Coquerel, Miss France 2014, marraine officielle du Salon. Deux animateurs de Télésud, une chaîne diffusée sur le câble, et de TV5 Monde avaient été débauchés pour l'animation. Au pupitre, le président de la chambre de commerce africaine vantait la stabilité des investissements sur le continent. Et, dans le public trié sur le volet, on pouvait entendre dans le même temps une des présentatrices vedettes d'Africa 24, Hortense Assaga, s'enthousiasmer : "Abidjan, c'est New York maintenant ! C'est là-bas que ça bouge !"
UNE ÉLITE CONVOITÉE PAR LES GRANDS GROUPES
Parfois moquée, en Afrique, pour son accent et ses habitudes "françaises", la nouvelle élite noire est de plus en plus convoitée par les grands groupes qui cherchent à se développer sur le continent. Des chasseurs de têtes spécialisés se sont créés : Africa Search, Mane Gere... Les cadres et ingénieurs nés en Afrique avec diplôme français sont particulièrement prisés. Plus encore, ceux qui ont intégré là-bas des filiales de grands groupes anglo-saxons (comme Microsoft ou Coca-Cola) et qui ont grimpé rapidement les échelons, loin du plafond de verre français. Ces cabinets voient aussi arriver un nombre croissant de candidatures de jeunes nés en France, soudain fascinés par un continent où semblent pleuvoir les dollars, et où, se disent-ils, leur couleur de peau sera une valeur ajoutée.
Il n'y a pas toutefois que des gens bien nés dans cette nouvelle élite. Surtout chez les Antillais. La plupart ont des parents qui occupent de petits emplois de la fonction publique : agent d'entretien, agent d'accueil, aide-soignante. Et beaucoup ont à ce titre grandi en banlieue. C'est le cas d'Angélique Zettor, 29 ans. Grande, mince, look décontracté, elle est aujourd'hui l'heureuse patronne de Genymobile, une boîte de nouvelles technologies spécialisée sur Android. En trois ans, elle est passée de 3 à 45 salariés et de locaux de la taille d'une chambre de bonne à un loft de 160 m2 au coeur de Paris. Elle les fait visiter en riant, désignant là le baby-foot qu'elle a tenu à mettre dans l'entrée, ici les fauteuils vert fluo pour les visiteurs.
D'origine réunionnaise, elle a passé son enfance dans une cité difficile d'Athis-Mons (Essonne). Sa mère, agent hospitalier, l'a élevée seule avec ses trois demi-soeurs. Angélique a financé ses études à coups de bourses, de crédits, et de petits boulots le week-end à l'aéroport d'Orly. Elle a juste eu la chance, estime-t-elle, d'avoir "aimé l'école" et d'y avoir "toujours été première". C'est le réseau communautaire qui est venu la chercher à force d'entendre citer son nom lors des jurys des prix d'innovation. Outre Mer Network (OMN) en l'occurrence. Moins connu que le club Efficience, l'association n'en a pas moins un entregent redoutable et organise tous les deux mois des soirées "networking" sur une péniche amarrée près de la gare de Lyon. Le bateau est prêté par Jocelyn Golitin, 55 ans, pilier du tourisme fluvial parisien et modèle de réussite antillaise. Le décor est sobre, contemporain, efficace.
Ce jeudi 13 mars, ils sont quatre, assis à fond de cale face à un public d'une quarantaine de personnes. Il y a le patron d'une start-up dans les systèmes d'information, un chocolatier, un pharmacien. La quatrième est la fondatrice de Kadalys, une marque de cosmétique bio à base de feuilles de bananier. C'est à son tour de parler de son parcours : "L'idée était de créer une marque "tropical chic"", résume Shirley Billot, sa créatrice, d'origine martiniquaise. Pas de long discours dans les soirées d'OMN. Il faut "pitcher". En clair, se présenter en cinq minutes, être drôle si possible. Le but est avant tout de se faire connaître. De donner l'idée à d'autres de se lancer. Puis de boire un verre.
Daniel Hierso est le fondateur d'Outre Mer Network. Ce Martiniquais de 42 ans et de 1,90 m, à la voix de stentor, a grandi dans une cité de Colombes (Hauts-de-Seine). Un autodidacte à poigne qui a débuté en créant une société de gardiennage. L'idée d'Outre Mer Network lui est venue en 2009, lors des émeutes à la Guadeloupe et à la Martinique : « J'écoutais une émission de libre antenne et je n'entendais que des témoignages de victimisation. Ça m'a gonflé." Son leitmotiv : la création d'entreprise est l'un des meilleurs moyens de contourner les barrières sociales. "Même si, pour 100 qui galèrent, il n'y en a qu'un qui réussit, pendant ce temps, il y en a 30 qui montent", estime-t-il.
"GÉNÉRATION ROOTS"
Une fois par semaine, Daniel Hierso anime ainsi une émission sur Tropiques FM où il donne la parole à des talents ultra-marins. Proche de réseaux d'entrepreneurs très investis dans les quartiers (la Nouvelle PME, Mozaik RH...), il développe aussi des ateliers en banlieue. Invite des grands patrons à se faire coach, comme Xavier Fontanet, ex-directeur général d'Essilor, ou Franck Riboud (PDG de Danone). Joue les business angel en lien avec des fonds d'investissement. Travaille même avec les réseaux d'entrepreneurs américains parrainés par Michelle Obama.
A l'instar d'une bonne part de la nouvelle élite noire, Daniel Hierso est persuadé que, pour transformer l'essai, il faut réussir à tirer ceux qui sont encore en bas de l'échelle. Les "nés en Afrique" cultivent souvent le rêve d'agir dans leur pays d'origine ; pour les autres, c'est en France que la bataille est lancée. Michael Kamdem, 27 ans, croit ainsi dur comme fer à la force des modèles. Des exemples dont il a décidé de faire le coeur de son magazine, Roots. Une revue trimestrielle gratuite tirée à 10 000 exemplaires sur papier glacé. Y défilent les portraits de ceux, noirs et français, qui percent dans la mode, la finance, la cuisine, l'hôtellerie... "Au départ, on me disait : "C'est joli, mais est-ce que tu arriveras à en faire d'autres ?" Je leur répondais toujours : "Jusqu'à ma mort !"."
Michael reçoit dans les locaux de sa petite rédaction, situés près des boulevards des Maréchaux, dans l'est parisien. Il est à l'image de son magazine : fringué, connecté, iPad, blouson de cuir et mocassins bleus. Né à Paris de parents camerounais, il a grandi dans le 19e arrondissement. Initialement, Roots était un projet de fin d'études de commerce, à Angers. Aujourd'hui, il est distribué dans tous les lieux fréquentés par les Afro-Antillais de la capitale. Restaurants chics comme boutiques de Châtelet-Les-Halles. De 50, il est passé à 200 pages. Les annonceurs se bousculent. Michael a fini par théoriser le concept de "génération roots". Une génération à qui il resterait moins de barrières sociales qu'intellectuelles à franchir. Celle du racisme surtout, pense-t-il. Il en a fait l'amère expérience mais préfère balayer, provocateur : "Ça ne fait pas mourir." Chargée de l'éditorial de Roots, Diane Audrey Ngako, 23 ans, a sa formule magique : "Black is not just beautiful, black is brilliant !"
S'autopersuader du succès à venir plutôt que s'estimer battu d'avance, "L'amour de Dieu transforme des gens ordinaires en champions.""Ma mère était vendeuse de fruits au marché, mon père chauffeur de minibus", Ferdinand n'est pas investi en politique. Il ne se sent concerné ni par les appels à des "réparations" pour l'esclavage ni par les réclamations pour plus de représentativité en politique. Il préfère croire à l'effet masse : "Quand le bruit prendra de l'ampleur, arrivera un moment où on ne pourra plus l'étouffer."
« ON EST DES ACTEURS DU SYSTÈME »
Une attitude classique de cette génération. Plus soft que hard power, elle enterre, à sa manière, le militantisme des années 2000 qui s'est développé dans le sillage de l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle. Celui, radical, de la Tribu Ka, qui a défendu, entre 2004 et 2006, la supériorité du peuple noir. Celui, plus social du CRAN, créé dans la foulée des émeutes en banlieue de 2005. Ou même celui d'un Dieudonné, qui a dérivé vers l'antisémitisme. Aujourd'hui, au contraire, les réseaux d'amitiés juives servent de modèles aux nouveaux réseaux noirs. Les vieux clivages entre Africains et Antillais sont en train d'être dépassés. Comme il en existe aux Etats-Unis, plusieurs portails d'actualités sur les diasporas afro-antillaises se sont aussi créés : NegroNews, Noir & Fier... Derrière ces intitulés, on trouve des trentenaires propres sur eux, avec des diplômes d'informatique, de finance, et des stages chez Total à la Défense. "On a changé de paradigme, explique Boris, de Noir & Fier. On n'a plus besoin que d'autres revendiquent que nous soyons intégrés. On est des acteurs du système."
Cette affirmation identitaire a dans le même temps permis à tout un marché pour les Noirs de se développer en France. Un secteur à part entière, porté principalement par l'essor des cosmétiques pour peaux et cheveux afro. Le 15 mars, au Tapis Rouge, un espace événementiel dont Jacques Chirac avait fait son QG de campagne en 2002, on pouvait ainsi croiser des centaines de jeunes femmes ayant payé entre 35 et 60 € pour participer à une "natural hair academy". Dans le décor Belle Epoque du Tapis Rouge, elles pouvaient, ce jour-là, accéder durant une journée entière à des stands de maquillage spécialisé et des ateliers sur le traitement des cheveux crépus. L'agence Ak-a avait organisé l'événement.
Créée en 2005 par un frère et une soeur d'origine guadeloupéenne, Didier et Gwladys Mandin, 36 et 32 ans, Ak-a est la première agence de marketing ethnique spécialisée sur les Noirs et les métis. Avec l'autorisation de la CNIL, elle a pu constituer un panel de 20 000 consommateurs, qui suscite l'intérêt de plus en plus d'enseignes. Or l'un des rêves secrets des acteurs du secteur relève autant de l'opportunité que de la bataille d'image : faire en sorte qu'à terme, à Paris par exemple, mères et filles ne soient plus obligées de venir jusqu'à Château-d'Eau, coeur historique des salons de coiffure afro, pour s'approvisionner. Leur permettre d'éviter, à l'avenir, ce boulevard du 10e arrondissement de Paris où se disputent rabatteurs et coiffeuses sans-papiers. Développer les salons lounge comme Maridié, dans le 19e arrondissement. En un mot : sortir du ghetto.
Autre secteur, même combat chez les Black Fahrenheit (BF), deux cousins d'origine congolaise qui organisent des soirées privées convoitées. Look branché, barbe taillée, à presque 40 ans, Freddy Kabala et Jean Ichakou n'excluent pas les Blancs de leurs événements, mais la logique du réseau fait qu'ils y sont rares. Quand BF s'est monté, en 2011, Freddy et Jean ont bataillé pour que les établissements des Champs-Elysées leur ouvrent leurs portes. Les Champs-Elysées, ou la consécration sociale : "C'était comme si on avait voulu nous faire comprendre que nos soirées ne pouvaient se passer qu'en banlieue ou dans les vieilles boîtes afro pleines de prostituées où dansaient nos parents, expliquent-ils avant d'asséner : On ne ferait pas ce que l'on fait si la France n'avait pas raté un épisode de son intégration."
Ils ont finalement réussi à se tailler leur place et, pour l'une de leurs dernières soirées, le 11 avril, ils avaient privatisé le bar de l'Hôtel Renaissance, avenue Wagram, près de l'Arc de Triomphe : déco indonésienne lounge, néons feutrés sous les cloisons, serveurs blancs impeccables. Ce soir-là, on pouvait croiser tous les visages, tous les parcours de la nouvelle élite. Les bien-nés comme ceux des cités. L'événement était parrainé par un jeune chef d'entreprise franco-camerounais lyonnais soucieux de faire parler de sa société d'informatique - Objis - et de ses envies de développement en Afrique. Aucune entrée à payer pour cette soirée chic et glamour. Pour participer, il fallait juste faire partie du listing minutieusement établi par les Black Fahrenheit. La soirée s'intitulait sobrement "L'air du temps". Mais les tenues sophistiquées des uns et les regards à l'affût des autres trahissaient une certitude : l'assurance d'appartenir à l'avenir.
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Elise Vincent
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