REPORTAGE
http://tinyurl.com/phmhwfo
http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/libre/20130926/index.html?version=null
page 8
http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/libre/20130926/index.html?version=null
page 8
Dans " la piscine " de l'école 42, avec les futurs génies de l'informatique
Le 24 septembre, durant l'épreuve de sélection pour gagner le droit d'entrer dans le nouvel établissement, à la mi-novembre.
CHRISTOPHE CAUDROY/POUR " LE MONDE ".
Pas de diplôme requis mais un mois à un rythme d'enfer pour intégrer l'école de Xavier Niel
C'est la dernière
ligne droite. Dans quelques semaines, Gaétan Garrigue et Sylvain Conso
sauront, comme leurs 650 compagnons, s'ils intègrent l'école 42.
Dimanche 8 septembre, les deux garçons - 22 ans tous les deux - ont
débarqué à Paris, sac sur le dos, duvet et matelas sous le bras.
Direction le 17e arrondissement de Paris, pour plonger dans la troisième
et dernière " piscine ", une session de quatre semaines pour gagner le
droit d'entrer dans ce nouvel établissement censé former des
développeurs en informatique.
Pas besoin de diplôme pour tenter sa chance, et l'école financée par Xavier Niel (patron de Free et par ailleurs actionnaire à titre individuel du Monde) n'en délivrera pas. Pas besoin non plus d'être un cador de l'informatique pour être sélectionné. Ici on promeut un enseignement iconoclaste fondé sur l'autonomie, l'entraide et le " peer to peer education ", entendez la " pédagogie par le partage des connaissances ". " Une méthode qui ne convient pas à tout le monde, avertit Nicolas Sadirac, directeur de 42, qui a inventé cette pédagogie avec l'école d'informatique Epitech, car il faut prendre des décisions dans un environnement très flou. Ceux qui ont besoin d'être encadrés sont très vite déroutés et se sentent perdus. Ce qui nous intéresse, c'est la capacité des candidats à absorber l'incertitude. Nous avons un tas d'exercices pour voir comment ils réagissent ", explique-t-il. Les locaux sentent encore le neuf. Trois immenses salles, réparties sur trois étages, où trois cents étudiants sont alignés en rangs d'oignons devant des iMac 27 pouces flambant neufs. Agoraphobes, s'abstenir. Au sous-sol, un " squat " géant où matelas gonflables, duvets et sacs de voyage s'entassent la nuit. Quelque 150 étudiants y dorment - boules Quies et bandeau sur les yeux sont fortement conseillés -, y prennent leur douche et font sécher leur serviette sur les rampes d'escaliers, y mangent, essentiellement des sandwichs, mais surtout y travaillent. Enormément. Gaétan et Sylvain sont bien décidés à s'accrocher. Le premier n'a jamais " bidouillé " sur un ordinateur. A 22 ans, originaire de Bordeaux, il a raté son bac deux fois et travaille dans la restauration. Sylvain n'a pas le bac non plus. Cheveux longs et fins sur les épaules, visage émacié, ce percussionniste, geek à ses heures, a toujours fait passer le conservatoire avant le lycée. Pour ces deux apprentis étudiants, cette école est " une chance ". Comme pour Amélien Charlot, qui, après avoir raté deux fois son BTS, a fait un détour de deux mois à l'université " pour rien ", ou encore Gaëlle Mangin, BAC S et deux années d'études en MASS (mathématiques appliquées et sciences sociales) derrière elle, qui dit avoir enfin découvert " sa voie ". Le coup d'envoi est donné chaque matin à 8 h 42, avec une série d'exercices de difficulté graduelle. Un tutoriel est proposé en guise de leçon. A charge pour l'étudiant de rendre son travail avant 23 h 42 le lendemain. L'école est ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Mais il vaut mieux savoir gérer son temps, car les nouveaux exercices s'enchaînent chaque matin. Trois jours après leur arrivée, Gaétan et Sylvain, croisés à la machine à café, ont déjà des petits yeux. Dix jours plus tard, ils reconnaissent avoir tiré sur la corde la première semaine. Pas assez de sommeil et toujours pas de grasses matinées en perspective. Tout le monde doit être debout à 9 heures au plus tard pour que l'équipe du ménage nettoie à fond. " On travaille énormément, sans doute quinze heures par jour. Mais on essaie d'avoir un rythme : coucher vers 2 h 30, lever 9 heures ", affirme Gaétan. A 42, tout est fait pour tester la résistance physique et morale des candidats. " J'ai vite compris que l'objectif était de décourager le plus grand nombre ", poursuit-il. Et ça marche. A chaque session, leur nombre diminue. Cent cinquante " nageurs " partent la première semaine, une centaine la troisième. D'autres, au contraire, sont surpris par leur capacité de travail. A cette charge s'ajoute une notation bien différente de celle du système éducatif classique. Un instrument diabolique baptisé " la moulinette ". " C'est un correcteur automatique qui s'arrête de corriger dès qu'il rencontre la moindre erreur, un espace en trop, une minuscule à la place d'une majuscule dans la ligne de code ", expliquent les garçons. Les zéros s'accumulent. Et le moral en prend un coup. En réalité, le vrai problème de Gaétan, c'est la gestion du temps. Sylvain, lui, est plus l'aise. Il parvient même à aider les autres. Gaétan accuse un gros retard : il a encore plusieurs dizaines d'exercices à faire. Du coup, il s'inquiète sur les connaissances qu'il n'a pas encore acquises. Mais il compte rattraper son retard. Parfois sa motivation est à zéro, le doute s'installe. Heureusement qu'il y a l'entraide " incroyable " entre " copains ". Il vaut mieux, car l'encadrement est plutôt aux abonnés absents. " Bien sûr, on peut poser une question, mais intelligente !... Sinon le staff nous envoie balader avec le sourire ", raconte Sylvain. " Nous sommes plus des gentils organisateurs que des professeurs, reconnaît Gaétan Juvin, responsable technique pédagogique et ex-d'Epitech. On s'assure que les journées sont bien remplies. Ce qui nous intéresse, c'est que ces jeunes se dépassent, gagnent en autonomie, et progressent. " L'apprentissage ne s'arrête pas aux exercices quotidiens. Chacun doit aussi savoir noter ses collègues, désignés de façon aléatoire. " Cet exercice permet de discuter, d'argumenter et d'expliquer son travail. Et nous sommes aussi notés sur notre façon de corriger ", explique Sylvain. A 42, on peut chercher une information sur Internet, être aidé par un voisin... mais il faut toujours être capable de refaire l'exercice et de maîtriser son explication. Sinon c'est de la triche. Si un étudiant correcteur a un doute, il peut en faire part à l'encadrement. Direction " le bocal " pour une petite explication en tête à tête. Si l'étudiant n'arrive pas à refaire tout seul l'exercice, la sanction tombe : - 42 ! Un fonctionnement qui ne choque pas nos deux candidats. " Ceux qui courent après les bonnes notes n'ont rien compris. On n'est pas au lycée ! " Pour les dérouter, les " gentils organisateurs " modifient les plannings. Comme lorsqu'ils ont reçu un mail les avertissant d'une nouvelle épreuve (de jeudi 18 heures à vendredi 18 heures) : " 24 heures chrono " - inspirée de la série américaine. Le principe : un exercice par heure. " Nous étions un peu anxieux et finalement on s'est tous plus ou moins détendu quand on a vu le premier exercice ", raconte Gaétan. Tout juste le temps de souffler cinq minutes et hop ! c'est parti pour " l'exam' machine ", sorte de contrôle de fin de semaine qui se prolonge jusqu'à 22 heures. Dans les rangées, silence total. Cette fois il est interdit de parler ou d'utiliser Internet. " La pression est maximale ", dit Gaétan. La première session s'est soldée par une hécatombe. " J'ai eu 1, la moyenne était de 0,95 ! En fait, tout le monde s'est planté dès le début en remplissant son fichier auteur. Le deuxième s'est mieux passé malgré une erreur idiote ". " Les étudiants sont très peu rigoureux, cela affecte leurs résultats ", relève M. Sadirac. Cette exigence de rigueur se retrouve dans la vie quotidienne : omettre de verrouiller sa session, même pour une pause pipi de cinq minutes, oublier de badger chaque fois qu'on rentre dans l'école, et l'on est passible de travaux d'intérêt général version " 42 " : nettoyage des écrans d'ordinateur ou contrôle des badges à l'entrée... La semaine ne s'arrête en fait jamais. Le samedi, c'est projet en groupe. La soutenance, appelée paradoxalement comme dans les classes prépa " la colle ", intervient le mardi ou le mercredi suivant. Les groupes sont faits en fonction du niveau des élèves. " Dans le mien, cette semaine, nous étions trois. Il y avait une fille qui était un peu perdue, je lui ai expliqué et elle s'est très bien débrouillée ", raconte Sylvain. " C'est un moment compliqué, car nous sommes harcelés de questions, il ne faut pas craquer. En plus, le groupe a la note du plus mauvais ", explique-t-il. Malgré des résultats plutôt satisfaisants, Sylvain s'inquiète. Il a l'impression qu'il ne progresse pas assez. Or, c'est un critère de sélection ! Et les rumeurs courent dans les étages. " Il paraît qu'en juillet un étudiant excellent n'a pas été pris. " Il faut dire que les critères de sélection sont flous. " C'est un mix entre les notes, la progression, la capacité d'adaptation, l'entraide, la motivation... ", avance M. Sadirac. En attendant le verdict, Gaétan et Sylvain veulent éviter de penser à l'après, pour conserver intacte leur motivation du premier jour. Nathalie Brafman |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire