http://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2015-2-page-35.htm
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Plan de l'article
- Qui sont les femmes entrepreneures malgaches ?
- L’enjeu majeur de la dynamique entrepreneuriale
- Structure duale et disparités d’accès aux financements
- Quels financements pour les créatrices d’entreprises malgaches ?
- Le recours à l’autofinancement
- Le secteur bancaire classique et ses limites
- Le Mobile-Banking, une solution innovante ?
- Le financement par des bailleurs de fonds étrangers
- La microfinance, promesse d’un nouveau mode de financement ?
- Microfinance en milieu urbain : les apports de l’AFD
- L’appui du programme PROSPERER aux micro-entreprises rurales
- Article suivant
Les points forts
- L’entrepreneuriat féminin peut être un levier pour le développement de Madagascar dans le cadre des Objectifs du nouveau Millénaire pour le Développement (OMD).
- Le financement reste toutefois une problématique majeure, en particulier pour les entrepreneures ayant un faible niveau d’éducation, notamment en milieu rural.
- Les fonds propres et les emprunts informels restent aujourd’hui la principale source de financement. Plusieurs barrières d’ordre culturel et socioéconomique limitent l’accès aux sources de financement alternatives. Il reste par exemple beaucoup reste à faire pour la vulgarisation de la microfinance.
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« Nos pays ont tout à y gagner ! Les femmes sont une force économique qui doit être mobilisée. Elles créent des petites entreprises qui génèrent de l’emploi et renforcent le tissu socioéconomique de nos pays. Elles font preuve d’innovation. Il s’agit donc de leur donner l’appui nécessaire à leur épanouissement professionnel » [2][2] Ces propos ont été rapportés par Seenayen, J., (2014),.... Ces propos d’un responsable de la Commission de l’Océan Indien soulignent l’importance stratégique grandissante que peut jouer l’entrepreneuriat féminin dans un pays en développement comme Madagascar.2
L’entrepreneuriat féminin est relativement peu connu du grand public à Madagascar. Pourtant, la 49ie session ordinaire des Nations Unies sur la condition de la femme qui s’est tenue à New York en 2005 s’est donnée pour objectif d’atteindre l’égalité effective hommes-femmes dans le monde en 2015 [3][3] Source : http://www.un.org. Sachant que cet Objectif du Millénaire pour le Développement OMD N°3 ratifié par Madagascar vise en particulier l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes dans cette perspective, le nouveau Gouvernement malgache mise sur l’entrepreneuriat, notamment féminin, pour dynamiser la relance économique.3
En 2014, l’Observatoire de l’Entrepreneuriat (ODE) a vu le jour. Malgré cette nouvelle donne, le financement des initiatives entrepreneuriales reste une problématique majeure, s’agissant en particulier des femmes entrepreneures qui se heurtent à de nombreuses barrières dans un contexte économique précaire où la culture gérontocratique prédomine.4
Ce travail apporte un éclairage sur les femmes entrepreneures malgaches et sur les différents types de financement qu’elles peuvent solliciter, et analyse le rôle de la microfinance en milieu rural et urbain dans la promotion de l’entrepreneuriat féminin.Qui sont les femmes entrepreneures malgaches ?
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Pour mieux cerner l’enjeu stratégique du financement de l’entrepreneuriat féminin à Madagascar, nous éclairons le contexte lié à notre problématique en proposant une catégorisation duale des femmes entrepreneures malgaches et en analysant les incidences de cette segmentation sur l’accès aux financements.L’enjeu majeur de la dynamique entrepreneuriale
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Madagascar est connu pour sa grande richesse en matière de ressources humaines, minières et de biodiversité. La Grande Ile a connu plusieurs crises politiques depuis l’avènement du nouveau millénaire. Le taux de croissance de 2 %, atteint par la Grande Ile en 2012 selon les estimations de l’Institut National de la Statistique (INSTAT), est très en-dessous des 10 % assignés dans le cadre des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés par les Nations Unies. Ces huit objectifs étaient de réduire l’extrême pauvreté et la faim ; d’assurer une éducation primaire pour tous ; de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ; de réduire la mortalité infantile ; d’améliorer la santé maternelle ; de combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies ; d’assurer un environnement durable ; de mettre en place un environnement mondial pour le développement.7
Les 22 millions d’habitants de Madagascar constituent un melting-pot de 18 ethnies. Environ 90 % de la population vit aujourd’hui avec moins de 2$ par jour, pour un salaire minimum mensuel proche de 40 euros. Située au cœur de l’Océan Indien, Madagascar fait partie des pays africains en développement, avec un Indice de Développement Humain (IDH) de 0,533 contre 0,493 pour l’Afrique Subsaharienne, 0,916 pour les pays de l’OCDE et 0,743 pour le monde entier (RNDH, PNUD 2010).8
Selon l’enquête INSTAT/ENSOMD 2012-2013 [4][4] Enquête Nationale du Suivi des Objectifs du Nouveau..., 49 % des actifs occupés en 2012 exercent à Madagascar des emplois indépendants (47,3 % en milieu urbain et 49,4 % en milieu rural). Autrement dit, près de la moitié de l’économie malgache repose sur la dynamique entrepreneuriale. Le tableau 1 ci-dessous illustre la part très importante des entreprises individuelles créées à Madagascar (89,5 %) et leur contribution majeure au développement économique. Les mêmes données montrent que les hommes exercent en majorité ces activités indépendantes. Toutefois, force est de constater que la participation féminine est non négligeable avec un taux de 38 % des femmes qui accèdent à ce statut.Tableau 1 - Création d’entreprises de 2005 à 2013
Source : INSTAT, 2013.9
Dans le secteur non agricole, l’enquête INSTAT/ENSOMD (2012-2013) montre par ailleurs que 37,5 % des ménages dirigés par des hommes contre 35,6 % des ménages dirigés par des femmes, possèdent une entreprise non agricole. Le tableau 2 ci-dessous illustre la répartition sectorielle genrée de ces entreprises.Tableau 2 - Structure genrée des entreprises non agricoles dirigées par les ménages
Source : INSTAT/ENSOMD 2012-2013.Structure duale et disparités d’accès aux financements
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Comme partout ailleurs, plusieurs profils de femmes entrepreneures cohabitent à Madagascar. Si le profil-type de la femme entrepreneure malgache n’existe pas, une dualité de typologie, présente dans de nombreux pays en développement notamment africains, se retrouve toutefois dans la Grande Ile. Les activités dans lesquelles les entrepreneures malgaches sont engagées permettent en effet de distinguer le secteur formel (agence de voyage, magasin de prêt-à-porter…) du secteur informel (coiffure, couture, broderie, mini agro-élevage…). Remarquons que cette segmentation duale (formel versus informel), est souvent corrélée aux différences sociales et de niveau d’éducation entre les deux catégories d’entrepreneures, ainsi qu’à la dualité urbain versus rural.11
D’un côté, les « femmes d’affaires modernes » urbaines ayant reçu une éducation à l’occidentale sont le plus souvent engagées dans des activités à forte valeur ajoutée qui relèvent souvent du secteur formel. Ces femmes entrepreneures, qui sont de véritables modèles pour de nombreuses malgaches, se sont généralement affranchies de la domination masculine propre à la culture gérontocratique patriarcale malgache (selon une approche bourdieusienne) ce qui leur confère une légitimité et une reconnaissance dans le monde socioéconomique. Parmi ces figures de proue qui incarnent un idéal-type pour de nombreuses malgaches, citons l’exemple d’Elia Ravelomanatsoa. Ayant créé sa première entreprise de produits agricoles à 19 ans, cette femme d’affaires a créé le Groupe FCB-Synergy Communication dans l’événementiel. Nommée présidente des Femmes Entrepreneures à Madagascar (FEM) puis administratrice du Congress of Black Women en 2004, elle se présente à l’élection présidentielle malgache en 2006 et devient ministre de la Culture par la suite. Sylvia Pagès, fille de l’ancien maire de la grande ville portuaire de Majunga, est une autre figure emblématique de l’entrepreneuriat féminin à Madagascar. Elle a commencé sa carrière d’entrepreneure à 24 ans en s’impliquant en tant qu’antenne du FEM à Majunga. Aujourd’hui gérante de la société Exofruimad et membre du réseau Femmes Chefs d’Entreprises Mondiales, elle préside la Plateforme Entreprendre au Féminin Océan Indien (EFOI) et promeut l’entrepreneuriat féminin à Madagascar. D’autres femmes chefs d’entreprises, comme Monique Andrianasolo, DG de la Société d’Investissement pour la Promotion de l’Entreprise à Madagascar (SIPEM) sont en particulier engagées dans la promotion et le soutien de l’entrepreneuriat, notamment féminin, par le biais de la microfinance. Ces femmes entrepreneures malgaches n’ont pas de difficulté majeure d’accès aux financements.12
De l’autre côté, et comme dans de nombreux pays en développement africains, la majorité des femmes malgaches n’ont pas reçu une éducation élevée et sont parfois illettrées. Ces femmes s’occupent principalement des tâches reproductives de ménagère au foyer et sont fortement concentrées géographiquement en milieu rural. En effet, de nombreuses femmes conservent encore les préceptes traditionnels de la culture patriarcale gérontocratique qui attribuent les rôles productifs à l’homme chef de famille et confinent la femme aux rôles reproductifs d’épouse et de mère. Face à la précarité qui prévaut à Madagascar, notamment en milieu rural, où la pauvreté avoisine le taux de 90 %, le seul revenu du mari suffit cependant rarement à subvenir aux besoins des ménages. Pour pallier cette situation, les femmes mariées s’impliquent dans des activités productives secondaires génératrices de revenu complémentaire, au-delà des rôles reproductifs qui leur sont traditionnellement assignés. Il n’est pas rare que les enfants soient également impliqués pour leur prêter main-forte, et ce même si le travail infantile est légalement proscrit. À Madagascar, près de 54 % des personnes sans aucune instruction occupent un travail indépendant. Certaines d’entre elles créent des microentreprises informelles, de même que de nombreuses femmes monoparentales ou célibataires en situation précaire. En milieu rural, il s’agit le plus souvent de mini-élevage, de polyculture à petite échelle ou d’activités artisanales informelles. En milieu urbain, les femmes de cette deuxième catégorie d’entrepreneures génèrent dans le cadre d’un processus entrepreneurial informel, un revenu à travers des activités de petits commerces de détails ou des activités de mercerie, couture, coiffure… Les initiatives entrepreneuriales informelles de cette deuxième catégorie de femmes sont très souvent confrontées à la problématique de recherche de financement. En effet, leur situation précaire ne leur permet ni de s’autofinancer en autonomie, ni d’offrir suffisamment de garanties personnelles aux organismes prêteurs, occasionnant de fortes barrières en matière d’accès aux financements.13
La microfinance offre une solution pour surmonter l’insolvabilité individuelle. Ce « nouveau » mode de financement, instauré depuis les années 90, ouvre des perspectives prometteuses, avec un taux de pénétration qui est à ce jour estimé entre 17 % [5][5] Source : http://www.afd.fr et 25,7 % [6][6] Source : http://www.madamicrofinance.mg. Si le microcrédit est relativement nouveau dans le paysage malgache, nous nous focaliserons en particulier sur le cas des microentreprises rurales et urbaines dirigées notamment par des femmes.Quels financements pour les créatrices d’entreprises malgaches ?
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Sans être exhaustif, nous présentons quelques sources de financement que les femmes entrepreneures malgaches peuvent mobiliser ou potentiellement solliciter sur place.Le recours à l’autofinancement
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À Madagascar, les fonds propres sont un mode de financement auquel ont recours de nombreux entrepreneurs hommes ou femmes (voir tableau 3). Dans ce pays en développement, beaucoup de gens sont encore méfiants vis-à-vis des institutions bancaires et préfèrent garder des espèces à leur domicile plutôt que de les déposer à la banque. En milieu rural comme urbain, beaucoup de malgaches sont en effet réfractaires au système bancaire classique, en particulier à cause de la complexité des procédures. Les prêts informels leur semblent plus faciles à mettre en œuvre. Les entrepreneurs hommes ou femmes peuvent contracter des emprunts auprès de membres de la famille ou d’usuriers pour compléter les fonds propres. Dans le secteur non agricole par exemple, le tableau 3 ci-dessous illustre la prégnance des fonds propres avec un taux proche de 60 % dans le financement des activités entrepreneuriales non agricoles pour les deux sexes, en milieu rural comme urbain.Tableau 3 - Sources de financement des entreprises non-agricoles
Source : INSTAT/ENSOMD 2012-2013.Le secteur bancaire classique et ses limites
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Le tableau 3 précédent montre le faible recours à l’emprunt bancaire des entrepreneurs malgaches, avec un taux de 0,1 % seulement pour les emprunts bancaires contractés par des femmes entrepreneures en 2012. À Madagascar, on compte 1,43 agence bancaire pour 100 000 habitants [7][7] Source : http://www.madamicrofinance.mg et moins de 5 % des foyers malgaches ont accès à des services bancaires classiques [8][8] Source : http://www.afd.fr.17
Si de nombreuses filiales de banques commerciales étrangères, à l’instar de la BNI-Crédit Lyonnais ou de la BMOI-BPCE, sont présentes dans la Grande Ile, ces banques appliquent aux entreprises qui sollicitent des crédits des critères d’éligibilité souvent similaires à ceux utilisés par la maison-mère. Par conséquent, seules les entreprises à forte valeur ajoutée, locales ou d’origine étrangère, implantées à Madagascar (entreprises de zone franche par exemple) sont « ciblées » par ces banques, occasionnant un fort écrémage de l’entrepreneuriat notamment féminin ayant un besoin de financement. Les entrepreneurs malgaches, hommes ou femmes, qui ouvrent des comptes et obtiennent des crédits de financement pour leurs activités auprès de ces banques prestigieuses sont peu nombreux. Pour le plus grand nombre, les conditions requises en termes de garantie auprès de ces banques commerciales sont rédhibitoires, même si des sociétés de fonds de garantie comme SOLIDIS, offrent des solutions facilitatrices d’intermédiation en matière de cautionnement. L’enquête INSTAT/ENSOMD (2012-2013) montre que seulement 3 % des entreprises non agricoles ont effectué une démarche pour l’obtention d’un crédit, qu’elle soit ou non couronnée de succès ou encore en cours, auprès des institutions bancaires et assimilées en 2012.18
Dans le secteur agricole, rappelons que l’ancienne banque nationale Bankin’ny Tantsaha Mpamokatra (BTM) qui signifie littéralement « Banque des Agriculteurs », a été rachetée en 1999 par le Groupe International Banque of Africa (BOA). Ayant sponsorisé en 2013 « le Forum de l’agrobusiness » organisé par l’association des entrepreneurs malgaches (FIVPAMA) dans le cadre du développement du secteur agricole, la BOA-Madagascar propose des crédits de faisance-valoir, des crédits de stockage et d’équipements aux exploitants individuels agricoles et aux entreprises agricoles. Par rapport à la vocation première de l’ex-BTM en faveur des agriculteurs, l’accès à ces financements bancaires classiques relève souvent du parcours du combattant. Hormis les grands exploitants de plantations de vanille, litchis, etc. la majorité des exploitants agricoles malgaches n’ont en effet pas les moyens d’offrir les cautions individuelles de garantie suffisantes qui conditionnent le déblocage des fonds. Certains travaux [9][9] Nsabimana, A. (2009), « Articulation Banques-Microfinance... ayant souligné l’intérêt grandissant des banques pour la microfinance, la BOA-Madagascar s’adapte à cette nouvelle demande en offrant des solutions de crédits de refinancements aux organismes de microfinance et de mésofinance agréés. Soulignons que la BOA-Madagascar élargit par ailleurs son portefeuille de prestations aux particuliers, professionnels, TPE et PME : Corporate leasing, opérations internationales, grandes entreprises, institutionnel [10][10] Source : http://www.boa.mg.19
En milieu urbain ou rural, le financement bancaire classique est difficilement accessible au plan individuel pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar. Au-delà d’une certaine forme de réticence culturelle, les chances d’octroi de crédits sont très limitées pour la majorité des entrepreneures malgaches car seules, elles n’offrent pas les garanties de solvabilité requises par ces banques classiques. En milieu rural par exemple, de nombreux exploitants passent plutôt par des crédits informels sous forme de prêts usuriers ou d’avance en intrants à taux élevé, afin de financer leur campagne pour compléter les fonds propres : 35 % des éleveurs et 40 % des agriculteurs malgaches ont exprimé en 2012 des difficultés de trésorerie lors de l’enquête INSTAT/ENSOMD (2012-2013). Cette situation suggère que des solutions telles que les tontines ou la mutualisation des cautions de garantie par le biais de la microfinance peuvent être judicieuses.Le Mobile-Banking, une solution innovante ?
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L’accès aux financements bancaires traditionnels comme à la microfinance reste problématique pour les bénéficiaires potentiels parfois situés dans des zones rurales enclavées et reculées. L’enquête INSTAT/ENSOMD de 2012 montre par exemple que 68 % des éleveurs et 64 % des agriculteurs n’ont pas accès ou ne savent pas trouver des financements à travers la microfinance.21
Le Mobile Banking ou « M-Banking » offre une solution innovante pour contourner ces problèmes. En 2011, l’accès aux services financiers via un téléphone portable aurait concerné près de 700 000 malgaches, chiffre correspondant au nombre actuel de clients de la microfinance à Madagascar. Les services disponibles de M Banking s’appellent M-Vola pour l’opérateur téléphonique Telma, Orange Money pour Orange et Airtel Money pour Airtel [11][11] Source : http://www.afd.fr. Cette solution sur mobile pourrait à terme contribuer à dynamiser l’entrepreneuriat féminin, mais sous certaines conditions. Préalablement, pour que les femmes entrepreneures malgaches aient un accès direct au service, elles devront disposer d’un téléphone équipé de l’application et être capables d’en maîtriser les usages, ce qui requiert en amont une phase d’information, voire de formation, qui nécessite des moyens conséquents.22
L’accès au M-banking peut s’opérer de manière indirecte. C’est ce que propose MicroCred Madagascar. Cette IMF œuvrant dans le domaine de la microfinance qui offre des financements aux PME exclues du système bancaire traditionnel, a démarré l’activité de la première banque mobile à Madagascar en 2013. Il s’agit d’un camion aménagé en agence, qui peut parcourir différents villages de la Grande Ile en autonomie, étant équipé d’un panneau solaire. Pour les mères de famille ayant des velléités entrepreneuriales, cette initiative peut offrir des perspectives intéressantes en termes d’accès aux crédits. Elles n’ont pas besoin de se déplacer en centre-ville pour effectuer les transactions financières. La banque mobile propose en effet différents services sur place en temps réel : dépôt et retrait d’argent, demande de crédit, transfert d’argent national et international via Airtel Money, etc. [12][12] Source : http://www.microcred.mgLe financement par des bailleurs de fonds étrangers
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Madagascar bénéficie de plusieurs types d’aide internationale qui ont pour vocation d’appuyer les initiatives en faveur du développement du pays. L’UE à travers le FED, les USA à travers l’USAID, la France à travers l’AFD, l’Allemagne à travers la GTZ, etc. offrent des appuis techniques ou en numéraire sur le terrain par le financement de projets et d’ONGs qui œuvrent dans cette dynamique, au-delà des aides institutionnelles du FMI ou de la Banque Mondiale. Pour l’amélioration de la condition féminine malgache face à la culture patriarcale dominante, l’approche « genre » ou le Gendermainstreaming est par exemple mis en œuvre par des ONGs, à l’instar du Projet Initiatives Genre et Développement (IGED) financé par le FED en milieu rural, auprès des femmes malgaches. Ce projet aide ces femmes du milieu rural à s’organiser autour des tâches non seulement reproductives traditionnelles de mère et d’épouse, mais également productives en leur faisant prendre conscience de leurs potentialités notamment entrepreneuriales, afin qu’elles s’affranchissent culturellement de leur subordination à la domination masculine et s’inscrivent dans une dynamique égalitaire. Des aides sous forme de formation, de dons financiers ou matériels peuvent impulser à petite échelle les initiatives entrepreneuriales informelles des femmes-cibles, par le biais d’octroi de matériel de couture par exemple.24
La France, par le biais de l’Agence Française de Développement (AFD), reste un partenaire privilégié pour Madagascar en matière d’appui au développement. De 2004 à 2013, l’AFD a débloqué au total une subvention de près de 20 millions d’euros. Parmi ses domaines d’intervention, l’AFD soutient en particulier la promotion de l’entrepreneuriat solidaire notamment féminin, par le financement des institutions de microfinance [13][13] Source : http://www.afd.fr, comme nous le verrons plus loin.La microfinance, promesse d’un nouveau mode de financement ?
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Le recours à la microfinance reste encore modeste à Madagascar, comme l’a montré le tableau 3. Cependant, son taux de pénétration progresse, sachant que près de la moitié des bénéficiaires en 2014 sont des femmes, avec un taux de 43 % dans les institutions mutualistes contre 59,32 % dans les institutions non mutualistes [14][14] Source : http://www.madamicrofinance.mg. Madagascar étant membre de l’Alliance Financière pour la promotion de l’Inclusion Financière (AFI), ce mode de financement initié il y a près d’une vingtaine d’années dans le paysage malgache offre des perspectives prometteuses, notamment pour les femmes entrepreneures, comme le montre le tableau 4 ci-après.Tableau 4 - Statistiques consolidées de la Microfinance à Madagascar
Source : http://www.madamicrofinance.mg26
Pour terminer ce parcours, nous nous intéresserons à deux cas illustrant les enjeux du microcrédit en milieu urbain et rural, afin de mieux cerner les promesses de son efficacité en matière de financement de l’entrepreneuriat féminin à Madagascar.Microfinance en milieu urbain : les apports de l’AFD
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L’Agence Française de Développement apporte un appui majeur au développement de Madagascar. Elle a notamment initié dans les années 90 l’un des dispositifs pionniers de microfinance dans la Grande Ile. L’ADéfi (Action pour le Développement de et le Financement des Microentreprises) constitue en effet le pilier central de l’appui français en matière de microfinance en milieu urbain à Madagascar. L’ADéfi a été créé en 1995 dans le cadre du Projet d’Appui aux microentreprises financé par l’AFD et comptait 9 000 adhérents en 2007. C’est une IMF privée spécialisée dans le financement des très petites entreprises urbaines. Une étude DIAL/ INSTAT [15][15] Gubert, F., Roubaud, F., Rakotomanana F. et Ravelosoa... sur l’impact du projet ADéfi auprès des emprunteurs a révélé une représentation majoritaire des micro-entrepreneurs de sexe féminin (58 %) soit 3 596 femmes sur 6 217 clients, ce qui souligne l’importance de son appui spécifique à l’entrepreneuriat féminin dans l’accès au financement. Dans la confection, les auteurs montrent que 71 % des micro-entrepreneurs sont des femmes. Dans la restauration, elles représentent 69 % des micro-entrepreneurs, ce qui s’explique par une politique de discrimination positive opérée par cette IMF lors de l’octroi de prêt. ADéfi cible en effet majoritairement les femmes micro-entrepreneures malgaches relativement éduquées. D’après l’étude, 84 % des adhérents à ADéfi interrogés en 2004 affirment que leur adhésion s’est accompagnée d’une amélioration de leur niveau de vie, ce qui souligne un bilan globalement positif de ce dispositif qui dynamise incontestablement le micro-entrepreneuriat (Cf. tableau 5) notamment féminin à Madagascar, même si les projets sont loin d’être tous viables à long terme. Il serait particulièrement intéressant de répliquer cette étude dans une perspective comparative longitudinale.Tableau 5 - Perception de l’impact d’ADéFI par les micro-entrepreneurs (en pourcentage)
Source : enquête quantitative auprès de la clientèle de l’IMF 2004, DIAL/INSTAT.28
Notons que l’AFD a octroyé en 2011 un prêt de 1.650.000 euros à l’IMF ACEP pour dynamiser la Microfinance et a financé 350.000 euros pour la mutuelle couverture santé gratuite des 10.000 micro-entrepreneurs emprunteurs ACEP-ADéfi.29
Le 23 juillet 2014, l’AFD a par ailleurs signé un accord de partenariat pour une convention de garantie de 500 000 euros avec SOLIDIS Garantie, société de fonds Mutuel de garantie qui offre un accompagnement des PME malgaches pour l’accès aux financements auprès des établissements financiers dans le BTP, le commerce ou l’agriculture. Les témoignages de femmes entrepreneures malgaches gérantes d’une entreprise de textile et prêt-à-porter, ou gérantes d’une entreprise de transport et de collecte de produits locaux, disponibles en ligne sur le site web de SOLIDIS [16][16] Source : http://www.solidis.org/les-entreprises.ht... illustrent les enjeux de la facilitation d’accès aux financements pour l’entrepreneuriat féminin grâce à cet organisme. L’accord de SOLIDIS signé avec l’AFD cible en particulier les très petites entreprises, y compris en milieu rural, en offrant des mécanismes de garantie solidaire au profit de la microfinance.L’appui du programme PROSPERER aux micro-entreprises rurales
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Le Programme de soutien aux Pôles de Microentreprises Rurales (MER) et aux Economies Regionales (PROSPERER), placé sous tutelle du ministère de l’Agriculture malgache, s’est donné pour objectif global de promouvoir l’augmentation des revenus des populations vulnérables par la consolidation des Microentreprises rurales au niveau local et régional. Son champ d’action gravite autour de cinq axes : l’Identification, la mobilisation des MER et la structuration des interprofessions, les Services d’appui aux MER et la formation professionnelle, les Finances rurales et la gestion des risques, les Infrastructures de marché et investissements structurants, le Suivi-évaluation, la capitalisation et la communication.31
Le Programme intervient dans cinq Régions de Madagascar et appuie onze filières et clusters ruraux. Une étude comparative des MER ayant accédé à des financements par rapport à ceux sans expérience de crédit, commanditée par PROSPERER a été réalisée par le Cabinet Finance et Développement Conseil (FIDECO) en 2013. [17][17] Razakaharivelo, C., Rajaonera, I., Randrianasolo, D.,... Nous analysons les principaux éléments issus de cette étude, en lien avec la problématique d’accès au financement des MER dirigées par les femmes. L’étude a porté sur 43 309 MER validées après suppression des doublons, soit 52,3 % des MER enregistrées.33
– Les MER en croissance (total clients potentiels estimés à 200 en 2014) dont le profil du dirigeant est plutôt masculin, avec un niveau d’études secondaire, doté de compétences acquises grâce à des formations spécifiques ou à des emplois précédents. L’activité principale cible des « niches » spécialisées et fonctionne sur toute l’année à différents niveaux. L’activité est la source principale du revenu du ménage. Ces MER souvent formelles, ont accès au microcrédit des IMF voire des banques commerciales, avec un fort potentiel de croissance et une capitalisation élevée.34
– Les MER à potentiel (Total clients potentiels estimés à 1 200 en 2014) dont la capitalisation initiale est souvent la même. Le profil du dirigeant est mixte avec un niveau d’éducation faible. Les compétences du dirigeant sont consolidées d’expériences acquises traditionnellement ou par des emplois antérieurs. Les activités constituent souvent la source principale des revenus du ménage et sont peu affectées par la saisonnalité. La MER a recours à la main-d’œuvre familiale et occasionnellement à la main-d’œuvre salariée. Les bénéfices sont réinvestis dans l’activité sinon pour le ménage. L’accès au crédit est limité avec la possibilité du recours à l’usure. Le potentiel de croissance est faible mais le nombre de salariés élevé avec la présence de main-d’œuvre permanente ou occasionnelle.35
– Les MER naissantes, (Total clients potentiels estimés à 23 800 en 2014) vulnérables, sont dirigées en majorité par des femmes au niveau d’éducation relativement faible, sauf en matière de connaissances traditionnelles et compétences artisanales (broderie, vannerie, couture, etc.). Ces activités secondaires qui assurent un complément des revenus agricoles au ménage sont soumises à la saisonnalité en fonction du cycle des cultures, de l’école… et génèrent peu de marge. La main-d’œuvre est familiale, les faibles marges ou surplus en nature sont destinés au ménage. L’accès au crédit formel reste difficile car ces MER sont elles-mêmes souvent informelles et ont recours à l’usure. Ces MER dirigées par des femmes ont une croissance limitée par la demande, la disponibilité des matières premières et les ressources physiques (main-d’œuvre, possibilités de stockage).36
Si la microfinance revêt une importance capitale pour les investissements en milieu rural [18][18] Niyongabo, E., Perilleux, A., (2010), « Microfinance..., l’accès pour les femmes micro-entrepreneures reste donc encore problématique dans un pays comme Madagascar. En effet, le modèle culturel patriarcal dominant les confine principalement à des tâches reproductives, les MER restent une activité secondaire complémentaire informelle qui permet difficilement de mobiliser un micro-crédit pour les financer. Notons que les secteurs de prédilection des femmes entrepreneures relèvent des métiers « traditionnellement féminins ». À titre d’exemple, 91,6 % de MER vanniers de l’échantillon sont des femmes. Les vannières ayant accès au crédit validé représentent 12 % de l’ensemble des MER. Dans la broderie et couture, 94 % des MER sont des femmes avec un âge moyen de 37,6 ans, dont 36 % ont été éduquées au niveau primaire, 4 % sont analphabètes, 40 % ont été au collège et 17 % au lycée. Leur accès au crédit validé représente 5 % de l’ensemble des MER. D’une manière générale, le niveau d’éducation faible handicape les femmes entrepreneures rurales, d’où l’impérieuse nécessité des programmes d’appui en matière de formation comme celles proposées par PROSPERER ou le projet IGED que nous avons évoqué plus haut.37
Le tableau 6 ci-dessous montre l’impact positif de l’appui technique des MER par PROSPERER sur l’accès des dirigeants aux financements.Tableau 6 - Lien entre l’accès au crédit et les appuis/formations aux MER
Source : Rapport FIDECO, 2013.38
Le taux de 56 % dans le tableau ci-dessus n’indique toutefois pas que la formation et l’appui technique règlent tous les problèmes d’accès aux financements. En effet, d’autres contraintes et barrières doivent être levées pour permettre aux femmes entrepreneures d’accéder de facto aux microcrédits. Le rapport FIDECO pointe plusieurs barrières :39
– Niveau de taux de garantie : le taux de 150 % demandé par les IMF est perçu comme trop élevé, le taux d’intérêt de 3 % est perçu comme exorbitant par rapport au taux escompté entre 1,5 % et 2 %.40
– Insuffisance de garantie : les IMF n’acceptent pas les garanties sous forme de « zébus » ou d’autres biens. Les garanties acceptées sont des terrains alors que ce sont des biens indivis.41
– Procédures : les MER se découragent du fait de la complexité des formalités administratives. Les IMF n’acceptent plus des documents délivrés par les autorités locales comme les Communes à titre de preuve de propriété d’un terrain. Pourtant, la plupart des infrastructures des MER ne sont ni cadastrées ni titrées.42
– Montant de crédit : le montant demandé par les MER est parfois diminué par les agents de crédit arguant que la demande est surévaluée. Les MER pensent que le montant de crédit octroyé au sein des groupes de caution solidaire est trop faible.43
– Niveau de discrimination ressentie : Les MER naissantes dirigées par les femmes et en croissance ont exprimé un ressenti très fort sur un blocage de leur financement.44
– Méfiance : les MER se méfient entre elles. Elles ont une difficulté à constituer des groupes de caution solidaire pouvant leur permettre d’accéder au financement de leurs activités.45
– Niveau d’instruction : le faible niveau d’instruction constitue un frein pour conduire des structures associatives. La personnalité du micro entrepreneur et l’aversion au risque constituent parfois un frein à son accès au crédit.46
– Insécurité : la recrudescence des vols de matériel de production (ruches, bétails,…) prive une partie de MER, des moyens de subsistance, etc.47
Aujourd’hui, Madagascar ne peut faire l’impasse sur le rôle de plus en plus stratégique de l’entrepreneuriat féminin dans la relance de son Economie. Face à la culture gérontocratique patriarcale qui limite l’accès de la femme malgache à l’épargne du ménage pour financer ses projets entrepreneuriaux d’un côté, et devant les difficultés d’accès au système de crédit bancaire classique de l’autre, la microfinance offre une alternative innovante pour la promotion d’une diversification entrepreneuriale notamment en faveur des initiatives de la gent féminine. La microfinance étant en quête de maturité [19][19] Labie, M., Lelart, M., et Montalieu, T., (2010), « Microfinance :..., ce mode de financement instauré récemment depuis une vingtaine d’années dans la Grande Ile, enregistre un taux de pénétration en progrès, estimé entre 17 % [20][20] Source : http://www.afd.fr et 25,7 % [21][21] Source : http://www.madamicrofinance.mg en 2014. Ce nouveau mode de financement offre en milieu urbain et rural, de réelles opportunités d’expression de l’entrepreneuriat féminin, au-delà des sources traditionnelles de financement. Devant les objectifs planétaires de développement du Nouveau Millénaire (OMD, Nations Unies), la microfinance apparaît en Afrique, comme un levier incontournable de promotion de l’entrepreneuriat féminin au sens de Yitamben [22][22] Yitamben, G. (2004), « La microfinance en Afrique :... même si beaucoup reste à faire pour sa vulgarisation.
Notes
[1]
L’auteur tient à remercier le Dr Ida Rajaonera, DGA de l’INSTAT de Madagascar, pour la mise à disposition des données exploitées dans cet article.[2]
Ces propos ont été rapportés par Seenayen, J., (2014), “Madagascar : placer l’entrepreneuriat féminin au centre de la stratégie économique », Business Magazine N°1127.[4]
Enquête Nationale du Suivi des Objectifs du Nouveau Millénaire à Madagascar, réalisée de septembre 2012 à Novembre 2013 par l’INSTAT.[9]
Nsabimana, A. (2009), « Articulation Banques-Microfinance en Afrique : impact sur la gouvernance et la performance des IMF », Reflets et perspectives de la vie économique, Tome XLVIII, p. 29-38.[15]
Gubert, F., Roubaud, F., Rakotomanana F. et Ravelosoa Rabemananjara, I. (2005) « Analyser l’impact d’un projet de microfinance : l’exemple d’ADéFI à Madagascar » étude AFD.[17]
Razakaharivelo, C., Rajaonera, I., Randrianasolo, D., Ranaivo, S., et Ravoniarisoa, F. (2013) « Analyse approfondie des MER : Analyse comparative entre des MER ayant eu accès au Financement et des MER sans expérience de crédit », rapport FIDECO.[18]
Niyongabo, E., Perilleux, A., (2010), « Microfinance et financement de l’investissement en milieu rural. Potentiel des coopératives et synergies avec les politiques publiques. », Mondes en développement, n° 152, p. 45-56.[19]
Labie, M., Lelart, M., et Montalieu, T., (2010), « Microfinance : le temps de la maturité ? », Mondes en développement, n° 152, p. 7-11.[22]
Yitamben, G. (2004), « La microfinance en Afrique : en lutte contre la pauvreté », Finance & Bien Commun n°20, p. 74-78.Résumé
FrançaisL’entrepreneuriat féminin revêt une importance grandissante pour le développement du Grand continent noir. Mais la problématique de son financement se pose avec acuité dans de nombreux pays africains, caractérisés par une culture patriarcale et une situation socioéconomique précaire, à l’instar de ce qu’on observe à Madagascar. Si la microfinance, instaurée dans la Grande Ile depuis près d’une vingtaine d’années, apparaît comme un nouveau mode de financement prometteur, beaucoup de défis rester à relever.
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