La
peste, fléau mondial et mortel autrefois, a beaucoup régressé au cours
des deux derniers siècles avec d’une part l’amélioration générale de
l’hygiène et d’autre part les progrès des diagnostics et des
traitements. Cependant cette maladie n’a pas disparu et subsiste encore
dans plusieurs foyers en Asie, en Amérique et en Afrique avec plus de
90% des cas et des décès (
Tableau I),
la mortalité étant relativement faible (
Figure 1)
En
effet, dans les cinq dernières années, des épidémies de peste sont
survenues à Madagascar, en Tanzanie, au Mozambique, au Malawi, en
Ouganda et en République démocratique du Congo, ainsi que dans les
grands parcs américains où sont diagnostiqués plusieurs cas chaque année (
Figure 2).
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Figure 1. Courbe de morbidité et mortalité (OMS).
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Figure 2. La peste dans le monde (en bleu foncé : les cas animaux).
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Madagascar : la peste sévit depuis 1898
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À
Madagascar, la peste a été importée en 1898 par un bateau arrivant
d’une zone d’endémie et elle s’est répandue dans tout le pays. Avec
l’arrivée des traitements par les sulfamides et la streptomycine ainsi
que l’usage des insecticides (DDT), la peste a disparu de la capitale en
1950 puis a nettement régressé dans l’ensemble du pays. En 1988, la
peste réapparaît à Madagascar (plus de 2 000 cas et plus de 120 décès),
puis en 1970 à Antananarivo, en 1991 à Mahajanga et est toujours
présente depuis. Ce pays reste un des plus importants foyers du monde,
près de 700 cas ont été déclarés officiellement depuis 2013
( Figure 3).
Actuellement, le bilan officiel est de 71 morts pour 263 cas. Mais ces
chiffres sont sous-estimés en raison de la désorganisation du système
de santé local et des coutumes locales d’enterrement des morts, qui ne
respectent pas les normes de sécurité sanitaire. Selon le Dr Minoarisoa
Rajerison, directrice de l’Unité de recherches sur la peste à l’Institut
Pasteur de Madagascar, un Malgache sur deux ne consulte jamais un
médecin et devant des symptômes, « l
es gens vont plutôt acheter des
médicaments à l’épicerie, ce qui retarde la prise en charge. Par
ailleurs, les guérisseurs traditionnels déconseillent aux malades
d’aller à l’hôpital, affirmant que ceux qui y vont n’en ressortent pas
vivants ». L’incidence de la peste suit les courbes de température et de pluviométrie
( Figure 4).
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Figure 3. La peste à Madagascar, actuellement.
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Figure 4. L’incidence de la peste suit la température et l’humidité.
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La peste est une zoonose due au bacille de Yersin, ou
Yersinia pestis
qui se déclare d’abord chez les rongeurs qui, en cas d’épizootie,
meurent en grand nombre. De ce fait, les puces n’ayant plus leurs hôtes
habituels se rabattent sur l’homme, pour effectuer leurs repas sanguins.
Ce bacille a déjà été retrouvé chez plus de 200 espèces de rongeurs.
Parmi les 2 500 espèces de puces, seules 31 espèces peuvent -transmettre
le bacille, mais le vecteur principal chez l’animal est la puce du rat (
Xenopsylla cheopis )
( Figure 5), la transmission interhumaine étant effectuée par la puce de l’homme,
Pulex irritans.
L’infestation par la puce se produit par régurgitation du sang absorbé
auparavant sur un sujet infesté. Les foyers de peste se trouvent
essentiellement en zone rurale semi-désertiques en altitude de 700 à 1
500 mètres. Dans les agglomérations où les zones périphériques sont
insalubres et les populations ont un faible niveau socio-économique avec
une pullulation de rats noirs (
Rattus rattus ) et de puces, la moindre introduction de bacille peut déclencher une épidémie.
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Figure 5. Xenopsylla cheopis .
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Il
est difficile de situer l’origine de la peste, pendant de nombreux
siècles, les diverses épidémies ont été appelées « peste », ou maladies
pestilentielles, considérées comme une conséquence du courroux divin,
alors qu’il s’agissait de choléra, de dysenterie, de charbon, de fièvres
virales diverses. Cependant, les moyens modernes d’études ont permis de
confirmer la présence du bacille dans l’épidémie de la « peste de
Justinien » ainsi que dans celle de « la Peste noire ». Vers 400 avant
notre ère, la peste d’Athènes (dont serait mort Périclès) serait-elle en
fait un typhus ou une typhoïde ? En 165 après JC, une forte épidémie de
peste (ou de variole ?), décrite par Galien, a sévi dans l’empire
romain. De 541 à 580, survient la peste de Justinien, décrite par
Grégoire de Tours, dans tout le pourtour méditerranéen. En 1347, la
Peste noire arrive à Marseille avec les Génois qui l’ont contracté au
siège de Kaffa, où des cadavres pesteux ont été catapultés sur la ville
par les assiégeants Tatars (c’est le premier exemple de guerre
bactériologique !)
. Cette épidémie s’est répandue ensuite dans toute la France
( Figure 6)
puis l’Europe où elle a tué presque la moitié de la population, avec
des chiffres impressionnants de mortalité, de 80% à Florence et 75% à
Venise.
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Figure 6. Progression de la peste noire en France.
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Du
XIVe au XVIIe siècle, divers foyers sévissent dans de nombreuses villes
de France où les habitants fuient les zones infestées... et vont ainsi
participer à la diffusion de l’épidémie, malgré les prières et les
processions, assez peu efficaces, pour évoquer Saint Roch, le
patron des « pestiférés ». Il est d’ailleurs toujours représenté avec
une lésion inguinale (bubon) et un chien, car pour éviter la contamination, on lui jetait la nourriture qui lui était rapportée par le chien. Au XVIIIe et XIXe siècle, des foyers ont éclaté dans des grandes villes européennes et en Chine où Yersin a découvert le bacille en 1894. Au XXe
siècle, la peste sévit toujours par épidémies dans diverses régions du
monde. En 1942, les Japonais utilisent cette arme bactériologique contre
la Chine. Une importante épidémie éclate en 1994 en Inde avec une forte
mortalité. Au XXIe siècle, la peste sévit encore par foyers
(Oran en 2003, République démocratique du Congo en 2004, Chine en 2009,
Madagascar depuis 2013).
La forme la plus fréquente est la peste bubonique.
Elle se manifeste après une incubation de quelques jours après
l’inoculation du bacille par les puces, qui se sont préalablement
infestées en piquant des rongeurs infestés. Le patient se plaint de
frissons, de fièvre, de céphalées, de myalgies, d’arthralgies et d’une
asthénie intense. Puis, apparaissent rapidement des adénopathies au
niveau des ganglions inguinaux, drainant la zone piquée (le pied ou la
jambe). Ces adénopathies (ou bubon) sont très inflammatoires et
douloureuses. L’inspection des membres inférieurs retrouve
souvent des papules érythémateuses, centrées par un point violacé, qui
sont les traces des piqûres de puces. Sans traitement, le bacille va se
multiplier et diffuser dans l’organisme et provoquer une septicémie,
d’évolution grave. En Amérique du Sud, les symptômes sont moins
prononcés, d’où le nom de pestis minore .
La peste septicémique
est la principale complication de la forme bubonique, les bacilles
ayant dépassé les premières défenses immunitaires que sont les ganglions
lymphatiques. Le patient présente alors une forte fièvre, des troubles
digestifs importants (diarrhées, vomissements), chute de tension, avec
un risque d’évolution vers une coagulation intra-vasculaire disséminée
et une défaillance multiviscérale.
La peste pulmonaire
peut être primitive ou secondaire. La contamination de la forme
primitive est due à une transmission aérienne directe par inhalation de
bacilles émis par la toux ou l’éternuement d’un patient atteint de peste
pulmonaire. L’incubation est assez courte (2 à 3 jours) avant
l’apparition des troubles pulmonaires (fièvre, toux, dyspnée,
hémoptysies). Puis survient rapidement une pneumopathie importante avec
œdème pulmonaire et surtout une détresse respiratoire aiguë évoluant
vite vers le décès. La forme secondaire survient, dans 10% de cas, après
une peste bubonique ou septicémique, l’envahissement du poumon
s’effectuant par la circulation. Le patient présente une fièvre, une
dyspnée et une toux avec des crachats hémoptoïques (dits « en sirop de
groseille »), de mauvais pronostic.
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Diagnostic : le bacille de Yersin et l’antigène F1
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Le diagnostic de peste est basé sur la mise en évidence du bacille,
Yersinia pestis ( Figure 7)
, entérobactérie Gram négatif, facilement retrouvé dans le pus des
bubons et dans l’expectoration en cas d’atteinte pulmonaire. En cas de
septicémie, le bacille est retrouvé dans l’hémoculture. Ce germe est un
coccobacille, prenant une coloration bipolaire et qui pousse lentement
en culture à 26 °C. Par ailleurs, il possède un antigène capsulaire F1
spécifique, thermostable et détecté dans le pus des bubons ou dans
l’expectoration, par immunofluorescence ou Elisa ou encore par les tests
rapides sur bandelettes. Cet antigène F1 et également retrouvé dans le
sang et dans les urines. En phase de convalescence, on retrouve les
anticorps anti-F1. Enfin, les laboratoires bien équipés peuvent
rechercher l’ADN de
Yersinia pestis par RT-PCR.
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Figure 7. Yersinia pestis .
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Croyances populaires et quarantaine
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Dans
l’Antiquité, Hippocrate recommandait d’allumer des feux dans les places
publiques pour « brûler les miasmes ». Au Moyen-Âge, le traitement des
sujets pestiférés se limitait à des prières à Saint Roch, des
processions, des flagellations et le bûcher pour quelques personnes
considérées comme « responsables » (les Juifs, les hérétiques et les
lépreux) soupçonnées de propager la maladie. Les classiques purges et
saignées, selon les documents de l’époque, aggravaient plus l’état du patient qu’elles le soulageaient. À partir du XVIe
siècle, les patients sont isolés et leurs habitations subissent des
fumigations et les morts sont incinérés. La mise en quarantaine des
navires ayant à bord un patient suspect d’avoir une peste à permis
d’éviter la propagation de la maladie dans les ports puis dans les
autres villes.
Tout
manquement à cette règle pouvait être responsable d”une épidémie, comme
ce fut le cas de la peste de Marseille en 1720, avec l’arrivée d’un
navire, « le Grand Saint Antoine », qui est revenu du Moyen-Orient, où
sévissait la peste. Ce navire avait eu 8 décès pendant la traversée, ce
qui aurait dû entraîner sa mise automatique en quarantaine. Mais les
autorités locales, qui étaient aussi des commerçants de produits
orientaux (tissus), ont néanmoins autorisé le navire à entrer pour
récupérer la marchandise. L’épidémie va rapidement s’amplifier, jusqu’à
provoquer plus de 1 000 décès par jour pour aboutir à un total de plus
de 100 000 morts
( Figure 8).
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Figure 8. Courbe de la mortalité quotidienne due à la peste (Marseille, 1720).
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À
l’époque, les médecins s’occupant de la peste étaient revêtus d’une
cape et la figure était cachée par un masque à bec de canard contenant
des plantes aromatiques (clou de girofle, romarin). Ce masque,
mis au point par Charles de Lorme, médecin de Louis XIII, permettait de
mieux supporter l’odeur de la mort et une éponge imprégnée de différents
vinaigres, placée devant la bouche, devait éviter une contamination.
Les notions d’odeur étaient importantes, et selon la tradition, les
palefreniers, les chevriers et les porteurs d’huile étaient épargnés par
les puces qui ne supportent pas ces odeurs.
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Actuellement : antibiothérapie efficace
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Le
traitement de la peste repose sur l’antibiothérapie, par voie orale ou
parentérale, le bacille étant sensible à pratiquement tous les
antibiotiques sauf aux béta-lactamines. Le traitement de première
intention reste la streptomycine (1 g en IM/jour/10 jours). Peuvent
également être utilisés la gentamycine en IM, les cyclines per os,
l’ofloxacine, ou encore le chloramphénicol ou le
sulfaméthoxazle-triméthoprime pendant une semaine. L’antibiothérapie
précoce a permis de réduire la mortalité de 90% à 10%. L’entourage
proche doit recevoir une dose unique de sulfadoxine ou de cyclines.
La
prophylaxie commence par l’isolement du patient et des mesures de
protection de l’entourage (gants, masque). Maladie à déclaration
obligatoire (n° 9) car ayant un potentiel épidémique, les cas de peste
confirmés doivent être déclarés à l’ARS, qui avertit la Direction
générale de la santé pour déclencher le plan Biotox (enquête sur la
source et les sujets contacts, limitation des déplacements,
antibioprophylaxie par cyclines ou rifampicine, désinsectisation,
dératisation). Un vaccin a été développé il y a plus de 100 ans,
mais abandonné car il était mal supporté et peu efficace. Des études en
phase I et II sont en cours, dans le cadre du bioterrorisme, pour
développer des vaccins à partir des sous-unités F1 de la capsule et de
la protéine V de la membrane du virus, ce qui devrait aboutir dans la
prochaine décade.
les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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