samedi 26 juillet 2014

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Des domestiques réduites en esclavage en Arabie... par lemondefr 

Le jour où... « Le Monde » vire ReiserLe Jour Où

LE MONDE |  • Mis à jour le  | Par 
Jean-Marc Reiser au siège d'Hara-Kiri
Jean-Marc Reiser au siège d'Hara-Kiri | Michel BARET/RAPHO
De 1945 à 2003, « Le Monde » raconte, pendant deux semaines, les dates qui ont marqué l'actualité, mais aussi scandé sa propre histoire. Ces douze épisodes de la série « le jour où… » seront publiées dans le livre édité pour les 70 ans du « Monde », chez Flammarion, le 24 septembre.
L'été 1978 était pourri, de la pluie pour les juillettistes et guère mieux pour les aoûtiens – le détail a son importance. Pas le genre de vacances à passer au camping, mais à vrai dire les lecteurs du Monde dorment peu sous la tente. Le journal coûte 1,80 franc et surfe sur l'après-Mai 68, décennie bénie où les tirages flirtent avec les 600 000 exemplaires. Le 10 juillet, Le Monde annonce à sa « une » deux feuilletons estivaux, un polar sur la Californie, « paradis des milliardaires et des hippies », de l'Ecossais Alistair MacLean, et une bande dessinée qui se moquera du « stakhanovisme du congé ». Une BD originale, confiée à une vedette : Jean-Marc Reiser, 37 ans, jeune homme blond et charmant aux faux airs de Daniel Cohn-Bendit, étoile filante qui mourra foudroyé par un cancer cinq ans plus tard, au sommet de sa gloire.
Le Monde, à l'époque, est un journal austère, sans photos. « Il faut imaginer que les seules images qu'il y avait alors, c'était des cartes de géographie ou presque », rappelle Delfeil de Ton, duNouvel Observateur. Depuis 1968, la rédaction de la rue des Italiens compte pourtant un jeune « rubricard éducation » qui défend avec ferveur le dessin de presse. On l'ignore : Bruno Frappat, ex-fan deSpirou et futur directeur de la rédaction du Monde (de 1991 à 1994), écrivit sous le pseudonyme de Joannès Chaize dans La Gueule ouverte, mensuel libertaire et écolo, annexe du mensuel « bête et méchant »Hara-Kiri et de Charlie Hebdo.
NEUVIÈME ART »
A 33 ans, Frappat s'est « autoproclamé » spécialiste de la bande dessinée au Monde. C'est lui qui publie le premier article sur le Festival d'Angoulême, en 1974, sous le bandeau « neuvième art ». Il explique aux lecteurs – mais aussi à la direction du journal – que la BD n'est ni« une maladie honteuse », ni « un signe de perversion culturelle ou de débilité », mais « l'un des continents de la culture d'aujourd'hui ». L'été 1974, Le Monde publie en avant-première, sous forme de feuilleton, un nouvel Astérix, Le Cadeau de César. Rien de très dérangeant.
C'est une idée autrement folle qui germe dans le cerveau de Frappat quatre ans plus tard. « Je connaissais bien Cabu et Wolinski, raconte-t-il, mais aussi Reiser », le père de Gros Dégueulasse, mythique anti-héros au slip douteux et aux élastiques fatigués. « Il était tout le contraire de moi, petit bourgeois tranquille qui passais mes vacances dans ma bulle familiale de l'Ain. » Reiser l'y rejoignait parfois l'été, matinal, sportif, une petite boîte d'aquarelle et son joli sourire fourrés dans la poche. Entre Frappat, fils de famille nombreuse et de patron mutualiste chrétien, et Reiser, autodidacte né d'une mère sans mari, dans un pays où « les ouvriers étaient de la même couleur que les paysages », au pied d'un haut-fourneau de Longwy, une amitié s'est installée, qui autorise toutes les audaces.
MAL PIFFÉS, MORVE AU NEZ, PIEDS NICKELÉS DU JOURNALISME »
« Et si tu nous dessinais un feuilleton l'été prochain ? » A l'étage d'un petit resto de la rue du Helder, de l'autre côté de l'immeuble de la rue des Italiens, Bruno Frappat sait, en cet hiver 1977-1978, que sa proposition tient de l'exploit impossible. Reiser appartient à cette bande de « mal piffés, morve au nez, Pieds Nickelés du journalisme », comme Cavanna appelait sa petite troupe de Charlie« Reiser, c'était des couilles qui dépassaient de partout, une transgression pour Le Monde », rappelle, amusé, l'ex-journaliste politique Thierry Pfister. Les yeux bleus de Reiser se mettent pourtant à briller. Le déjeuner « un peu arrosé » se prolonge. Ce n'est pas de travailler pour une « institution » installée et d'être traité d'« agent double » par ses potes de Charlie qui le fait hésiter. « Jamais j'y arriverai… C'est mon rêve, moi qui suis fils de femme de ménage, mais jamais j'y arriverai », se débat-il avant d'accepter.
« Dessiner dans Le Monde, pour Reiser, c'était entrer dans une cathédrale. Il était comme un petit abbé qui devient pape », se souvient Frappat. « Pour nous c'était phénoménal, pour lui c'était gigantesque », confirme Delfeil de Ton, un ancien d'Hara-Kiri. Reste le plus difficile : convaincre la chefferie du quotidien. Frappat déploie sa panoplie d'arguments. Reiser ? Un formidable chroniqueur de moeurs. Un lecteur du Monde et de Teilhard de Chardin. S'il « dessine le pire », explique-t-il aux huiles du premier étage, c'est parce qu'il « aime le beau ». Lui saura, en outre, fidéliser le lectorat étudiant rallié au journal depuis Mai 68. Jacques Fauvet, directeur du journal, emporte les réserves d'André Fontaine, son rédacteur en chef : Reiser dessinera du 10 juillet à la fin du mois d'août.
Le premier épisode de « La famille Oboulot en vacances » paraît dansLe Monde daté 11 juillet 1978, en page 13, un peu écrasé entre le Carnet, les mots croisés et la météo. Les aventures d'un couple et de ses enfants à la mer, à la campagne, à la montagne. Une histoire de mioches et de torgnoles, de goélands mazoutés sur la plage et de congés qui commencent mal, sous la pluie et dans la boue, au camping Les Mimosas. C'est le talent de Houellebecq avant l'heure, mais tendre et enfantin, drôle et triste à la fois.
L'album regroupant toutes les planches de la famille Oboulot
L'album regroupant toutes les planches de la famille Oboulot | Reiser
Chaque soir, la nouvelle recrue jette sur le papier ses visages fendus, ses nez rouges et ses bulles en lettres capitales, soupirant – Le Mondelui a refusé la pleine page – de devoir tant resserrer ses dessins. Frappat remarque que, dans les colonnes du journal, son ami n'est« pas aussi déboutonné et débraillé que d'ordinaire », mais ne s'en étonne pas. « Pour Le Monde, le couple a bonne gueule, il parle même l'anglais, décrit l'écrivain Jean-Marc Parisis, son meilleur biographe. Pas de sexe, juste une légère nudité le 20 juillet. Reiser avance masqué avec un feuilleton au titre anodin. »
Dans les couloirs de la rue des Italiens, certains font la moue. Les plus vieux, notamment. Mais le service politique, qui avait défendu, en 1970, la bande d'Hara-Kiri et sa « une » tapageuse (« Bal tragique à Colombey : un mort ») contre le ministre-censeur du général de Gaulle, Raymond Marcellin, fait bloc derrière la famille Oboulot. Reiser est unquick drawer, comme disent les Américains : « Il manquait toujours un pied ou une main, ce n'était ni Jean Effel ni Jacques Faizant avec leurs traits appliqués, mais ce n'était jamais gênant », note Wolinski. Chaque matin, Reiser livre sa planche quotidienne à Bernard Lauzanne, le corédacteur en chef, « comme les feuilletonistes du XIXe », rappelle Delfeil.
Mais voilà que, quelques jours après le début du feuilleton, un camion-citerne empli de propane explose près d'un camping à Los Alfaques, dans la province espagnole de Tarragone. Une boule de feu soulève les vacanciers et les transforme en momies calcinées, figées dans leurs mouvements comme les habitants de Pompéi. Une horreur absolue ; le fait divers de l'été, celui qu'espèrent tous les journaux pour remplir leurs pages désolées. « Le camping de l'horreur », titre aussitôt Paris Match, tandis que, chaque soir, les journaux télévisés sortent de leur léthargie estivale pour décompter les 217 morts (dont beaucoup de Français) surpris sous la tente où ils passaient leur été. Comme les Oboulot au camping Les Mimosas.
IL NE POUVAIT RÉSISTER À L'APPEL DE LA MORT, SA GRANDE INSPIRATRICE »
D'un coup, le contexte a changé. L'humour de Reiser a pour certains comme une étrange odeur de carbonisé. Jeune dessinateur de 27 ans qui fréquente depuis peu les pages du Monde, Plantu se souvient d'avoir passé une tête, cet été-là, dans le bureau d'André Fontaine. Il trouve le rédacteur en chef – qui lui offrira plus tard son dessin quotidien – effondré, un tas de planches du pigiste de Charlie étalées devant lui. « Pff… Regardez, un pépé qui se masturbe, on peut quand même pas publier ça… » Jean Plantureux – son vrai nom –, qui a suivi les cours d'une école de BD « tintinophile » à Bruxelles, et place dans son Panthéon personnel Reiser aux côtés d'Hergé, demeure désolé et silencieux, roulant des yeux comme dans un cartoon.
Comment, pour Reiser, rester indifférent à pareil surgissement de l'actu ? « Il ne pouvait résister à l'appel de la mort, sa grande inspiratrice », insiste l'écrivain Jean-Marc Parisis. Au Monde, personne n'a gardé trace des dessins que cette recrue d'un été apporte rue des Italiens les jours qui suivent la catastrophe. Mais dans Reiser, un album tout juste paru chez Glénat, Parisis exhume une planche, étrangement publiée le 10 août de cet été 1978 par… Charlie Hebdo. On y voit un camion de propène fonçant sur le camping des Mimosas au prétexte d'un tournage de film. L'hebdomadaire satirique l'a publiée juste après une fausse publicité vantant… les mérites du bronzage au propane.
Etait-elle destinée au Monde ? Reiser s'est-il censuré ou lui a-t-on retoqué son dessin ? Une autre planche a été retrouvée dans ses cartons, mais est absente des pages du journal : la famille Oboulot s'y plaint de voisins de tente bruyants, « péteurs »« ronfleurs », qui« baisent » et « braient comme des ânes ». Une chose est sûre : ce n'est plus à des amis que le dessinateur va rendre ses dessins, en ces derniers jours de juillet. « Aoûtien » rituel, Bruno Frappat est parti en congés. Jacques Fauvet a lui aussi rejoint les plages de l'Atlantique – d'où il revenait chaque année frappé du célèbre « syndrome de La Baule », c'est-à-dire, comme tant de chefs qui sortent rarement de la capitale, avec des tas d'idées banales, ou saugrenues, pêchées dans la « vraie » vie.
Un dessin de Reiser pour Bruno Frappat
Un dessin de Reiser pour Bruno Frappat | Reiser
Rue des Italiens, en ce mitan de l'été, André Fontaine a pris la relève.« Reiser ne remettait plus ses dessins aux mêmes personnes. Elles les relisaient sans rire », raconte Delfeil. « Obscène »« lamentable »,« infect »« scandaleux »… Le rédacteur en chef se met à invoquer des lettres adressées par de « fidèles lecteurs », pleines de ces inusables formules de mauvais coucheurs que chaque rédacteur du Mondeconnaît si bien : « Je m'étonne qu'un journal comme le vôtre ose publier… »« Comment le quotidien de M. Beuve-Méry peut-il ouvrir ses colonnes… ». Elles étaient « moins de quarante », assure Frappat,« quatre ou cinq », soupire Delfeil. Mais c'est assez pour faire changer le pouvoir de camp. « Reiser, c'est une catastrophe. On arrête tout », annonce Fontaine à Frappat interdit, le 3 août, au téléphone.
Et c'est ainsi que, au numéro 23, le feuilleton d'été s'interrompt brutalement. Le 4 août, la famille Oboulot reprend sa bagnole sous la pluie, empruntant ce mot de la fin à Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d'une chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. » Il faudra attendre trois ans pour que la fin de la BD trouve refuge dans Le Nouvel Obs, où Claire Brétecher s'est lassée de ses « Frustrés », puis termine sa course dans l'album posthume paru en 2012 chez Glénat, augmenté des fameux dessins soustraits aux lecteurs du Monde.
Jamais Reiser n'a protesté contre cette collaboration avortée. « Il ne m'en a pas parlé et ne s'est jamais plaint », confie Michèle Reiser, qui le rencontre un an plus tard et ne le quitte plus jusqu'à sa mort, fin 1983.« Sans doute a-t-il voulu voir jusqu'où aller avec ce Monde trop bourgeois, trop placide, trop loin de lui », suggère Parisis. « Une part de lui était soulagée, ajoute Delfeilpas loin de décrire un acte manqué. Il y était entré puis avait été viré parce qu'il était malpoli, c'était plutôt glorieux. » De l'épisode, il n'est resté qu'un cadeau-souvenir, offert par l'éphémère pigiste à son ami Bruno, scotché au mur de son bureau àLa Croix jusqu'à son départ. Un bonhomme à gros pif tend un couteau de boucher : « Frappat, assassine ceux qui te gênent et deviens rédacteur en chef ! »
La dernière planche de la famille Oboulot publiée dans « Le Monde »
La dernière planche de la famille Oboulot publiée dans « Le Monde » | Le Monde
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