vendredi 25 juillet 2014

A Madagascar, l'emprisonnement de deux journalistes provoque la colère des écologistes Laurence Caramel Le Monde


Jean-Luc Rahaga Didier Ramanoelina libres !  

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Le Monde.fr |  • Mis à jour le  |Par 

Le trafic de bois de rose est décidément un dossier très sensible à Madagascar. En décidant de placer en détention préventive deux journalistes suspectés de « diffamation et de délit de presse », la justice malgache vient de faire preuve d'une sévérité exceptionnelle alors qu'aucun des barons de ce commerce illicite, dont les noms sont notoirement connus depuis des années, n'a jamais été inquiété.


A Antananarivo, manifestation de soutien aux deux journalistes emprisonnés, lundi 21 juillet 2014, après avoir mis en cause des personnalités politiques dans le quotidien "Madagascar Matin".

A Antananarivo, manifestation de soutien aux deux journalistes emprisonnés, lundi 21 juillet 2014, après avoir mis en cause des personnalités politiques dans le quotidien "Madagascar Matin". | AFP/RIJASOLO

Lundi 21 juillet, Jean-Luc Rahaga, directeur de la publication du quotidien nationalMadagascar Matin et son rédacteur en chef, Didier Ramanoelina, ont été arrêtés à Antananarivo pour avoir publié une lettre de lecteur accusant trois ministres – dont celui des infrastructures, Rivo Rakotovao, qui a porté plainte  – d'être impliqués dans le trafic de cette essence protégée inscrite à l'annexe 2 de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites).
DE SIX MOIS À DEUX ANS DE PRISON
Après un procès qui s'est déroulé à huis clos mercredi, les journalistes risquent de six mois à deux ans de prison et le journal un mois de suspension de parution. Une manifestation rassemblant une cinquantaine de journalistes a eu lieu dans la capitale et l'Alliance Voahary Gasy, qui regroupe les organisations environnementales, a apporté son soutien aux détenus. « La justice a pris une décision disproportionnée contraire au Code pénal dans lequel la détention préventive est une mesure exceptionnelle », déplore Andry Andriamanga, le porte-parole de l'Alliance joint par Le Monde.
Pour désamorcer la contestation grandissante, le chef de l'Etat, Hery Rajaonarimampianina est intervenu publiquement et a désapprouvé «  l'emprisonnement des journalistes pour des faits entrant dans le cadre de leur profession ». Dans la foulée, les ministres ont retiré leur plainte. 
Si personne ne songe à dédouaner la presse de la responsabilité dont elle doitfaire preuve lorsqu'elle met en cause des personnes en publiant leur nom, l'attitude du tribunal d'Antanarivo alimente la frustration de ceux qui espéraient que l'élection de Hery Rajaonarimampianina ouvrirait une ère nouvelle. En février, le président avait promis de « diriger personnellement le combat contre les trafics de bois de rose ». Depuis, rien ne s'est produit et plusieurs saisies réalisées à l'étranger ont confirmé l'activité persistante des réseaux mafieux qui alimentent laChine en bois de rose, en dépit de l'embargo international adopté en juin 2013.
CARENCES DE LA JUSTICE
Les carences de la justice – dénoncées par l'ancien premier ministre Omer Beriziky dans une lettre au président du 8 avril – restent totales. « On notera les exemples flagrants suivants, écrivait-il dans le courrier publié par la presse. Le procureur d'Antalaha pris en photo en flagrant délit sur un bateau impliqué dans le trafic de bois de rose à Antalaha, l'inexistence d'une quelconque procédure engagée à l'encontre de monsieur Lucky Nazarely, réputé comme étant l'un des principaux financiers locaux des opérations, avec la complicité de Victorien, dit Toto, de la société de transit MSC, la non-citation à comparaître par le tribunal de première instance d'Antalaha de Monsieur Thunam, détenteur de 5 500 rondins de bois de rose stockés sur son terrain à Ambalabe et qui ont mystérieusement disparus...»
Il concluait en formulant l'espoir que « le nouveau ministre de l'environnement et des forêts [ aussi mis en cause par la lettre de lecteur publiée par Madagascar Matin] sera une personne qui reconnaît l'importance du capital naturel en tant que moteur de développement et mettra l'Etat de droit et l'application de la loi à l'avant-garde des efforts pour l'environnement ».
Sans attendre le verdict qui devrait être rendu aujourd'hui, journalistes et défenseurs de l'environnement redoutent que l'affaire de Madagascar Matininterprétée comme un avertissement, n'augure d'une volonté de restreindre la liberté d'expression. « Nous attendons des arrestations de trafiquants, pas de journalistes. Alors seulement nous pourrons dire que le gouvernement a la volonté de lutter contre le trafic de bois »,  lâche, amer, Andry Andriamanga.

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