samedi 25 septembre 2010

Le variaminanana alternance codique malgache-français - Maud VERDIER EHESS (LIAS-Institut Marcel Mauss)

Le variaminanana

alternance codique
malgache-français

http://www.dglflf.culture.gouv.fr/Langues_et_cite/LC14.pdf
page 17

Maud VERDIER,
EHESS (LIAS-Institut Marcel Mauss)
Université Paris-X Nanterre

L’étude des pratiques de chat dans
les cybercafés de la capitale de
Madagascar parmi les jeunes Malgaches
fait apparaitre un usage répandu du variaminanana
– c’est-à-dire l’alternance codique entre
les langues française et malgache – tant à
l’oral que dans les échanges par internet. Comment
comprendre une telle alternance que la
localisation des cybercafés dans un contexte
urbain tel que Tananarive, où le contact entre
de multiples langues, idiomes et registres est
une pratique dominante, ne peut seule expliquer
? Les éléments de réponse proposés ici
sont par ailleurs développés dans le cadre
d’une recherche en anthropologie linguistique
privilégiant l’étude des usages1 .
L’étymologie même du terme variaminanana
est intéressante pour le lien qu’il établit avec
un autre domaine de la culture malgache :
l’expression vient en effet de la métaphore
culinaire vary amin’anana signifiant « riz avec
feuilles potagères » (Rasoloniaina 2003). La
situation sociolinguistique malgache est généralement
décrite comme diglossique avec
une domination du français standard sur la
langue nationale (Rambelo 1991, Rabenoro
2006). Dans ce cadre, les locuteurs reprennent
souvent le jugement normatif porté sur le
variaminanana, considéré comme une menace
pour l’intégrité de la « langue des ancêtres »
(tanin-drazana). Mais le terme même de variaminanana
porte une signification qui n’est pas
dénuée d’ambiguïté, avec des connotations
à la fois positives (« délicieux ») et négatives
(c’est un plat simple, composé de riz avec des
brèdes) : « Le riz étant normalement cuit pur
(vary ampangoro), la préparation mélangée est
considérée soit avec le mépris que suscite un
plat des pauvres soit avec la condescendance
qu’appelle un mélange qui peut être délicieux,
mais qui n’en est pas moins un expédient. »
(Rasoloniaina 2003). Ces connotations se reportent
sur les usages d’alternance codique
par les locuteurs eux-mêmes, conséquence de
la stigmatisation faite par ailleurs de ces pratiques
en milieu scolaire.
Une nouvelle approche
du variaminanana
En effet, la question du variaminanana constitue un
enjeu social important étant donné les problèmes
relatifs à l’emploi des langues pour l’enseignement à
Madagascar2 . C’est pourquoi ce type d’alternance
codique, parfois dénommé frangasy ou frangache, a
surtout fait l’objet d’études en contexte scolaire (Rafitoson
1998, Ranaivoson 2004, Babault 2003 2006),
et plus rarement dans des situations de face à face3 .
Les recherches sociolinguistiques se contentent en
général d’étudier les représentations des locuteurs en
utilisant la méthodologie traditionnelle des enquêtes
par questionnaires et entretiens. Or, les discours doivent
être évalués à l’aune des pratiques. Notre approche,
en s’appuyant au contraire sur l’observation
directe des pratiques (via l’enregistrement vidéo de
ces pratiques), permet de porter un regard nouveau
en s’intéressant à la diversité des usages.
Le variaminanana : l’index d’une
situation plutôt que le choix d’un code
Le variaminanana doit être appréhendé en relation
avec les différentes séquences conversationnelles
d’un chat. Car il apparait en effet de manière récurrente
par exemple dans les séquences d’ouverture et
de clôture de chat. On y observe alors de façon régulière,
outre l’emploi d’expressions stéréotypées, ce
qui est attendu dans les clôtures, le phénomène du
variaminanana que les interactants utilisent pour accomplir
une activité qui s’accomplit généralement sur
plusieurs tours d’écriture, comme par exemple dans
cet extrait de chat entre (O.) et
F.) : O. – mazoto (« bon courage »)./ F.
– merci. / O. – ok. / F. a +.
La clôture se fait de manière non problématique
pour ces deux chatteurs qui accomplissent cette
activité de manière coordonnée. À regarder de
plus près les données que nous avons filmées, il
ne semble pas que le choix de l’un ou l’autre des
codes obéisse dans ces cas à une logique particulière,
mais qu’il est avant tout l’index du passage
à la phase de clôture de la conversation (se dire
au revoir) et, ce, dans un certain type de situation
(le chat).
Conclusion
L’étude du variaminanana est à relier par ailleurs
à un ensemble d’autres phénomènes que l’on
trouve dans les tours d’écriture du chat – utilisation
des abréviations, écriture phonétique, présence
de smileys [émoticônes, « frimousses »],
ou encore de marqueurs interjectifs, etc. – qui
participent d’un certain rapport de l’écrit avec
l’oral.
Références bibliographiques
BABAULT S. (2006) Langues, école et société à
Madagascar, normes scolaires, pratiques langagières,
enjeux sociaux, Paris : L’Harmattan

RABENORO I. (2006) « La mise en place d’une politique
bilingue malgache-français », Communication
au colloque Le bilinguisme et l’interculturalité,
Mayotte, 20-23 mars 2006

RAFITOSON E. (1998) « Alternance codique et
pratique de classes en milieu bilingue malgache/
français », Plurilinguismes, n°14, Congrès Alternance
des langues et apprentissage : Saint-Cloud,
pp. 51-67

RAMBELO M. (1991) « Langue nationale, français et
développement. Éléments pour une politique d’aménagement
linguistique à Madagascar », Langues, économie
et développement, tome 2, Paris : Diff. DidierÉrudition

RANAIVOSON R. (2004) « Diversité linguistique et
développement durable : le malgache et le français
du point de vue des bénéficiaires de l’éducation de
base à Madagascar », Actes du colloque Développement
durable. Leçons et perspectives, Ouagadougou :
AUF / AIF / Université de Ouagadougou, 1er au 4 juin
2004

RASOLONIAINA B. (2003) « Le variaminanana des
marchands de Tanjombato, zone rurbaine d’Antananarivo
», Glottopol, n°2, www.univ-rouen.fr/dyalang/
glottopol•

http://phanie.ethno.image.free.fr/index.php/maud-verdier/176-publications-et-communications

VERDIER M. (2009) « Le variaminanana : alternance codique malgache-français », Langues et cités : bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques, n°14, Paris : DGLFLF


VERDIER M. (2003) « Paroles et gestes au marché de Majunga (côte ouest de Madagascar). Notes d'anthropologie linguistique », Etudes de l’Océan Indien, Editions de l’Inalco, n°35-36

VERDIER M. (2006) Compte-rendu de lecture de Représentations et pratiques de la langue des jeunes Malgaches de France, B. Rasoloniaina in Etudes de l’Océan Indien, Editions de l’Inalco, n°37

VERDIER M. (2006) Compte-rendu de lecture de L’arbre anthropophage, J.-L. Raharimanana, in Etudes de l’Océan Indien, Editions de l’Inalco, n°37

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http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero_2.html
Sophie BABAULT : Plurilinguisme et tensions identitaires chez les lycéens

malgaches
Brigitte Rasoloniaina : Le variaminanana des marchands de Tanjombato, zone rurbaine
d’Antananarivo
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Signalons la page sur les travaux de Brigitte Rasoloniaina :
http://phanie.ethno.image.free.fr/index.php/rasoloniaina/75-quelques-publications
Notemment sur l'étude du malgache parlé par les "andafi"
REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES DE A LANGUE CHEZ LES JEUNES MALGACHES DE FRANCE

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