jeudi 1 décembre 2016

Qui décide, à Madagascar ? SEFAFI communiqué 29/11/2016






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Qui décide, à Madagascar ?



Le 30 août 2016, la Représentante spéciale de la Commission de l’Union Africaine, exigeait que soient mises en œuvre les dispositions de la Feuille de route de sortie de crise à Madagascar signée le 16 septembre 2011. Or sa présence même à Antananarivo démontre par l’absurde que la crise à Madagascar est officiellement terminée ! Et la voilà qui somme les Malgaches de renoncer à toute idée d’élection présidentielle anticipée, au prétexte que l’Union africaine s’y oppose (« ce ne sont pas les élections anticipées qui vont sauver ce peuple »), ajoutant que le pays n’a pas l’argent pour les organiser : « Qui va financer ces élections anticipées ? ». Tout cela en réponse au mouvement d’opposition Mistangàna Ry Malagasy qui demandait le départ du chef de l’État et la tenue d’élections anticipées. En clair, l’UA s’arroge le droit de décider du destin de Madagascar, quoi qu’en pensent les Malgaches.
Le 28 octobre 2016, la Country manager de la Banque mondiale à Madagascar définissait ainsi les « priorités de l’État » malgache : « Est-ce que vous payez les enseignants pour assurer la rentrée scolaire des enfants, qu’ils soient à Antananarivo, à Farafangana ou à Mahajanga, ou en pleine campagne pour qu’un enseignant soit là, ou est-ce qu’on sert l’électricité à 14% de la population à Antananarivo ? C’est un choix ». Et de féliciter le ministère des Finances « d’avoir privilégié le service de base pour le plus grand nombre de Malgaches, plutôt que d’essayer de privilégier un petit nombre de population à Tana pour avoir accès à l’électricité »[1]. Bref, peu importe si cette population urbaine « privilégiée » produit avec cette électricité dans ses usines, bureaux et ateliers, peu importe si l’électrification rurale peine également à décoller, les priorités du pays ne deviennent acceptables qu’à partir du moment où elles sont avalisées par la Banque mondiale.
La question se pose donc de savoir qui décide, à Madagascar : le pouvoir légal ou les bailleurs de fonds ? À lire le Rapport du Fonds Monétaire International (« FMI ») N°16/273 d’août 2016, le décaissement semestriel jusqu’en juillet 2019 d’environ 43,5 millions USD repose à chaque fois sur une revue par le FMI de la réalisation par le gouvernement de diverses actions et des « réformes structurelles ». Le Ministre des Finances tente tant bien que mal de répondre aux exigences de ce bailleur en chef. Si le FMI demande la maîtrise, puis la réduction, des transferts aux entreprises publiques telle que la JIRAMA, le ministère fait savoir que la situation désastreuse de la JIRAMA provient essentiellement de la gabegie et de la corruption. Factures non recouvrées : « 60% des facturations, soit 50 milliards d’Ariary par mois sur une facturation de 80 milliards d’Ariary » ; passation de marchés questionnable : « le prix d’achat de carburant est plus élevé que les prix à la pompe des stations-services alors que la société d’État achète en grande quantité et via appels d’offres » ; mauvaise gestion : « pertes non techniques de l’ordre de 20%, principalement liées à des branchements illicites »[2], etc. Si le FMI demande l’accroissement des recettes fiscales, la loi de finances 2017 verra l’introduction de nouvelles taxes, comme la taxe de résidence pour le développement et la taxe sur les animaux domestiques … Malgré ces efforts, nous n’avons sensiblement pas l’impression que le régime est véritablement maître de notre destin collectif. Et que sans l’incitation du FMI et des bailleurs, le gouvernement actuel ne prioriserait une gouvernance économique très rigoureuse. Encore une fois, la question se pose plus que jamais de savoir qui décide, à Madagascar : le pouvoir légal ou les bailleurs de fonds ?
Restera à savoir si la conférence des bailleurs qui se tiendra à Paris les 1er et 2 décembre prochains, apportera les 3,4 milliards de dollars recherchés pour financer les divers projets de mise en œuvre du Plan national de développement. Du menu de projets présentés, quels choix feront les bailleurs ? 360 millions de dollars pour la viabilisation de zones économiques spéciales (un montant égal, il faut noter en passant, à l’enveloppe entière jusqu’en 2019 de la Facilité de Crédit Elargi du FMI) ? 172 millions pour l’éducation[3] ? Ou 89 millions de dollars pour la viabilisation de l’aéroport de Tuléar, pour ne nommer que quelques exemples.[4] Les « projets structurants » sont-ils suffisamment alignés sur les priorités des bailleurs, en termes non seulement techniques mais aussi en termes de moyens, dans ce monde devenu incertain et où les urgences sont nombreuses ? Madagascar recevra-t-il les engagements espérés pour combler les recettes internes insuffisantes et enrayer la récession de ces dernières années ? Les engagements de cette semaine seront-ils nouveaux ou juste une réitération des intentions de financement déjà connues de tous ? Quel pourcentage de ces engagements viendra du secteur privé par le biais de PPP peu transparents ? Même si les promesses se transforment en engagements fermes, et les décaissements se concrétisent, l’État sera-t-il à même de les réaliser convenablement ?
L’histoire récente de la Grande Île, depuis le « programme d’ajustement structurel »[5] des années 1980 à la suite de la gestion économique calamiteuse du président Ratsiraka jusqu’à la fin de la Transition de 2009-2013, montre à l’envie que le pays n’a guère été consulté par les « bailleurs de fonds ». À leur décharge, rappelons qu’aucun des régimes successifs n’a présenté de projet cohérent et concret de développement économique et social, et qu’aucun d’entre eux n’a engagé des actions suivies pour améliorer les conditions de vie de la population. À preuve, les dirigeants actuels se complaisent dans des mesures ponctuelles, démagogiques et électoralistes, faute de vision économique à court, moyen et long terme.

Antananarivo, 29 novembre 2016


[1]. L’Express de Madagascar du 31 octobre 2016. A quoi Sylvain Ranjalahy avait déjà répliqué la veille, dans un éditorial intitulé « Voir ou savoir » : « C’est un raccourci dangereux que de minimiser le problème de cette façon, de surcroit de la part d’une grande responsable de la première institution financière mondiale. Elle semble avoir oublié la catastrophe économique incommensurable causée par le délestage. (…) La permissivité des bailleurs de fonds vis-à-vis d’un régime incompétent et corrompu durant 40 ans maintenant a été le principal facteur de la pauvreté chronique qui mine le pays. Si toutes les aides avaient été contrôlées et utilisées à bon escient, on n’en serait pas là aujourd’hui », L’Express de Madagascar du 29 octobre 2016.
[2]. L’Express de Madagascar, 27 octobre 2016.
[3]. Les bailleurs d’étant déjà engagé à financer 94 millions USD sur une demande globale de 266 millions USD.
[4]. Voir le site web de la conférence : www.cbi-madagascar.com
[5]. Voir Gilles Duruflé, L’ajustement structurel en Afrique (Sénégal, Côte d’Ivoire, Madagascar), Karthala, 1988.

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