lundi 2 mai 2016

GRET, ONG française aide au développement #Madagascar (S. Chevrier, 2012)

 

 http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RSG_277_0045&DocId=488932&hits=9631+9630+5355+5271+5264+5197+5173+5034+4850+4802+4766+4628+4573+4479+4453+4415+4414+

 Chevrier Sylvie.

 Transfert de responsabilités dans les projets de coopération au développement : le cas d’une ONG franco-malgacheManagement International, 2012, n° 1, p. 103-116. Connolly Paul. Ethical principles for researching vulnerable groups. OFM/DFM. 2003, 35 p.

Retour d’expérience 3 : une ONG sur un terrain franco-malgache

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Afin d’illustrer et de discuter des limites de la recherche-intervention, nous nous appuierons sur une recherche-intervention menée entre 2009 et 2010 auprès du GRET, une ONG française d’aide au développement implantée à Madagascar (S. Chevrier, 2012). Il s’agissait d’aider les personnels français à déléguer davantage aux personnels locaux dans la gestion des projets de l’antenne malgache. L’intérêt de l’organisation pour la recherche a en effet permis un large accès aux acteurs puisque tous les personnels présents sur le site au moment de la recherche ont été interviewés, soit plus de trente personnes. La présence dans l’antenne pendant la recherche a aussi permis d’observer le fonctionnement des équipes et les interactions sur place. Ce vaste recueil de matériau a donné lieu à des analyses de contenus qui ont permis de mettre en évidence les représentations culturelles comparées de la prise de responsabilités côté français et côté malgache. Une fois restituées aux acteurs, ces nouvelles connaissances ont alimenté trois groupes de travail pour développer la formation, faire évoluer les processus de décision, formaliser davantage l’organigramme, les fiches de postes et les procédures et organiser le travail collectif, autant d’éléments qui avaient été identifiés comme des prérequis, notamment pour le personnel malgache, à la montée en responsabilités. Un an après l’intervention, le bilan sur les avancées obtenues était très positif, même si toutes les résolutions issues des groupes de travail n’étaient pas encore mises en œuvre. Les progrès obtenus en matière de délégation étaient sensibles.

Des biais comme limites ou comme moyens ?

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Dans cette recherche, la collecte de données menées systématiquement auprès de tous les personnels avec le même guide d’entretien n’a pas semblé démériter au plan de la rigueur. On peut en revanche s’interroger sur la partialité des chercheurs impliqués sur le terrain qui viennent ici clairement à l’invite d’une des parties : les managers français de l’ONG. La problématique de départ qu’ils formulent ne prend en compte que leur point de vue : comment surmonter les réticences du personnel malgache pour réussir à déléguer davantage ? Elle sera reformulée de manière un peu plus équilibrée par les chercheurs sous la forme : « quelles sont les conditions de la montée en responsabilité des points de vue français et malgaches ? ». Cependant, les chercheurs français ne peuvent manquer d’apparaître comme des acteurs mandatés par la direction inscrite dans le contexte culturel français. Le seul fait de réaliser les entretiens en français (langue officielle de travail de l’ONG à Antananarivo) empêche l’accès à des représentations culturelles malgaches qui auraient pu s’exprimer dans la langue locale. Au-delà de la nationalité et de la langue propres à ce cas, un chercheur est toujours porteur d’une histoire personnelle, d’une inscription sociale et de représentations qui lui sont propres et orientent son regard. On pourrait ainsi conclure à une multiplicité de biais qui entachent la neutralité et l’objectivité scientifique. Nous défendrons au contraire qu’en matière de recherche sur le terrain, le biais n’est pas qu’un vilain défaut de validité mais qu’il est la condition même de la production de connaissances. Le biais doit s’entendre au sens de moyen trouvé pour résoudre une difficulté ; atteindre un objectif par le biais d’un dispositif particulier. Dans l’interaction avec les acteurs de terrain, le moyen de la recherche, c’est d’abord soi-même, ce que l’on est, la confiance que l’on parvient à créer.
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C’est d’abord par ce biais que l’on obtient des données. Pas de biais, pas de données. Il est clair dans notre cas, qu’un chercheur malgache aurait recueilli des propos un peu différents de ceux que nous avons obtenus. Les propos n’en sont pas moins valides pour exprimer des représentations ; tout discours est le produit de représentations. Il s’agit seulement de ne pas prétendre à l’exhaustivité des résultats qui peuvent toujours être complétés et approfondis.
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Ensuite dans l’analyse, il est clair que la manière d’aborder les données et de construire les catégories est encore influencée par la position, l’histoire et l’expérience du chercheur. Le biais, c’est alors l’angle avec lequel on regarde une scène sociale. Il est forcément partial. Multiplier les regards est effectivement très riche pour limiter cette partialité et les angles de vue. Dans notre recherche, les résultats obtenus auraient pu être enrichis si comme nous l’avions initialement prévu, un anthropologue malgache avait pu se joindre à l’étude.

Capacité de généralisation

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Dans l’ONG, les représentations ont été qualifiées de françaises et de malgaches quand des divergences récurrentes sont apparues entre les deux groupes d’interviewés. Cependant, nombre d’éléments de contexte étaient aussi à considérer : les positions dans l’organisation (en situation de management ou pas), âge et expérience des personnes, fonction. Il fallait également considérer que les représentations pouvaient aussi être liées à la culture de l’organisation. Nous avons donc conduit huit entretiens dans d’autres organisations malgaches auprès de Français et surtout de Malgaches pour recouper nos résultats. Il reste que le périmètre de généralisation des résultats obtenus n’est pas facile à déterminer. S’il est effectivement apparu des convergences avec des membres extérieurs à l’organisation étudiée permettant de supposer que les représentations de l’exercice de la responsabilité sont partagées dans un groupe plus large, la littérature anthropologique incite à être prudent sur le découpage à retenir dans la mesure où elle met en évidence deux héritages significativement différents pour les populations côtières de Madagascar et celles des hauts plateaux.
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En somme, les éléments de connaissance mis en évidence dans le cadre d’une recherche-intervention ont une forte validité interne et peuvent être généralisés mais le périmètre de généralisation n’est pas connu a priori. La fine compréhension de mécanismes dans un contexte précis donne de la profondeur à cette connaissance qui pourra être généralisée soit grâce à des comparaisons empiriques soit, si elles existent, grâce à des recoupements avec d’autres recherches.

Recherche ou conseil ?

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L’intervention tire la recherche vers les recommandations et l’action. La primauté de l’action sur la production de connaissance dépend du contexte, des interlocuteurs et des termes de la négociation initiale. Pour notre part, dans une ONG qui s’efforce de capitaliser systématiquement sur ses expériences et qui possède elle-même une direction de la recherche, l’équilibre entre temps de la recherche et temps de l’action a été respecté dans un projet qui s’est étalé sur plus d’une année. Lorsque le contexte est moins favorable, on distingue le temps court de la collecte, d’une première analyse et restitution pour l’action puis, le temps de l’exploitation plus complète du matériau, notamment en vue de publications, quitte à s’apercevoir, même s’il est parfois trop tard et que le retour sur le terrain n’est plus possible, que certaines données complémentaires seraient nécessaires pour assurer la solidité des interprétations ou donner sens à un résultat émergent, mais cette difficulté n’est pas propre à la recherche action.

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