http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RSG_277_0045&DocId=488932&hits=9631+9630+5355+5271+5264+5197+5173+5034+4850+4802+4766+4628+4573+4479+4453+4415+4414+
Chevrier Sylvie.
Transfert de responsabilités dans les projets de coopération au développement : le cas d’une ONG franco-malgache, Management International, 2012, n° 1, p. 103-116. Connolly Paul. Ethical principles for researching vulnerable groups. OFM/DFM. 2003, 35 p.
Retour d’expérience 3 : une ONG sur un terrain franco-malgache
39
Afin
d’illustrer et de discuter des limites de la recherche-intervention,
nous nous appuierons sur une recherche-intervention menée
entre 2009 et 2010 auprès du GRET, une ONG française d’aide au
développement implantée à Madagascar
(S. Chevrier, 2012). Il s’agissait d’aider les personnels français à
déléguer davantage aux personnels locaux dans la gestion des projets de
l’antenne malgache.
L’intérêt de l’organisation pour la recherche a en effet permis un
large accès aux acteurs puisque tous les personnels présents sur le site
au moment de la recherche ont été interviewés, soit plus de trente
personnes. La présence dans l’antenne pendant la recherche a aussi
permis d’observer le fonctionnement des équipes et les interactions sur
place. Ce vaste recueil de matériau a donné lieu à des analyses de
contenus qui ont permis de mettre en évidence les représentations
culturelles comparées de la prise de responsabilités côté français et
côté malgache.
Une fois restituées aux acteurs, ces nouvelles connaissances ont
alimenté trois groupes de travail pour développer la formation, faire
évoluer les processus de décision, formaliser davantage l’organigramme,
les fiches de postes et les procédures et organiser le travail
collectif, autant d’éléments qui avaient été identifiés comme des
prérequis, notamment pour le personnel malgache,
à la montée en responsabilités. Un an après l’intervention, le bilan
sur les avancées obtenues était très positif, même si toutes les
résolutions issues des groupes de travail n’étaient pas encore mises en
œuvre. Les progrès obtenus en matière de délégation étaient sensibles.
Des biais comme limites ou comme moyens ?
40
Dans
cette recherche, la collecte de données menées systématiquement auprès
de tous les personnels avec le même guide d’entretien n’a pas semblé
démériter au plan de la rigueur. On peut en revanche s’interroger sur la
partialité des chercheurs impliqués sur le terrain qui viennent ici
clairement à l’invite d’une des parties : les managers français de
l’ONG. La problématique de départ qu’ils formulent ne prend en compte
que leur point de vue : comment surmonter les réticences du personnel malgache
pour réussir à déléguer davantage ? Elle sera reformulée de manière un
peu plus équilibrée par les chercheurs sous la forme : « quelles sont
les conditions de la montée en responsabilité des points de vue français
et malgaches ? ».
Cependant, les chercheurs français ne peuvent manquer d’apparaître
comme des acteurs mandatés par la direction inscrite dans le contexte
culturel français. Le seul fait de réaliser les entretiens en français
(langue officielle de travail de l’ONG à Antananarivo) empêche l’accès à
des représentations culturelles malgaches
qui auraient pu s’exprimer dans la langue locale. Au-delà de la
nationalité et de la langue propres à ce cas, un chercheur est toujours
porteur d’une histoire personnelle, d’une inscription sociale et de
représentations qui lui sont propres et orientent son regard. On
pourrait ainsi conclure à une multiplicité de biais qui entachent la
neutralité et l’objectivité scientifique. Nous défendrons au contraire
qu’en matière de recherche sur le terrain,
le biais n’est pas qu’un vilain défaut de validité mais qu’il est la
condition même de la production de connaissances. Le biais doit
s’entendre au sens de moyen trouvé pour résoudre une difficulté ;
atteindre un objectif par le biais d’un dispositif particulier. Dans
l’interaction avec les acteurs de terrain, le moyen de la recherche,
c’est d’abord soi-même, ce que l’on est, la confiance que l’on parvient à
créer.
41
C’est
d’abord par ce biais que l’on obtient des données. Pas de biais, pas de
données. Il est clair dans notre cas, qu’un chercheur malgache
aurait recueilli des propos un peu différents de ceux que nous avons
obtenus. Les propos n’en sont pas moins valides pour exprimer des
représentations ; tout discours est le produit de représentations. Il
s’agit seulement de ne pas prétendre à l’exhaustivité des résultats qui
peuvent toujours être complétés et approfondis.
42
Ensuite
dans l’analyse, il est clair que la manière d’aborder les données et de
construire les catégories est encore influencée par la position,
l’histoire et l’expérience du chercheur. Le biais, c’est alors l’angle
avec lequel on regarde une scène sociale. Il est forcément partial.
Multiplier les regards est effectivement très riche pour limiter cette
partialité et les angles de vue. Dans notre recherche, les résultats
obtenus auraient pu être enrichis si comme nous l’avions initialement
prévu, un anthropologue malgache avait pu se joindre à l’étude.
Capacité de généralisation
43
Dans l’ONG, les représentations ont été qualifiées de françaises et de malgaches
quand des divergences récurrentes sont apparues entre les deux groupes
d’interviewés. Cependant, nombre d’éléments de contexte étaient aussi à
considérer : les positions dans l’organisation (en situation de
management ou pas), âge et expérience des personnes, fonction. Il
fallait également considérer que les représentations pouvaient aussi
être liées à la culture de l’organisation. Nous avons donc conduit huit
entretiens dans d’autres organisations malgaches auprès de Français et surtout de Malgaches
pour recouper nos résultats. Il reste que le périmètre de
généralisation des résultats obtenus n’est pas facile à déterminer. S’il
est effectivement apparu des convergences avec des membres extérieurs à
l’organisation étudiée permettant de supposer que les représentations
de l’exercice de la responsabilité sont partagées dans un groupe plus
large, la littérature anthropologique incite à être prudent sur le
découpage à retenir dans la mesure où elle met en évidence deux
héritages significativement différents pour les populations côtières de Madagascar et celles des hauts plateaux.
44
En
somme, les éléments de connaissance mis en évidence dans le cadre d’une
recherche-intervention ont une forte validité interne et peuvent être
généralisés mais le périmètre de généralisation n’est pas connu a
priori. La fine compréhension de mécanismes dans un contexte précis
donne de la profondeur à cette connaissance qui pourra être généralisée
soit grâce à des comparaisons empiriques soit, si elles existent, grâce à
des recoupements avec d’autres recherches.
Recherche ou conseil ?
45
L’intervention
tire la recherche vers les recommandations et l’action. La primauté de
l’action sur la production de connaissance dépend du contexte, des
interlocuteurs et des termes de la négociation initiale. Pour notre
part, dans une ONG qui s’efforce de capitaliser systématiquement sur ses
expériences et qui possède elle-même une direction de la recherche,
l’équilibre entre temps de la recherche et temps de l’action a été
respecté dans un projet qui s’est étalé sur plus d’une année. Lorsque le
contexte est moins favorable, on distingue le temps court de la
collecte, d’une première analyse et restitution pour l’action puis, le
temps de l’exploitation plus complète du matériau, notamment en vue de
publications, quitte à s’apercevoir, même s’il est parfois trop tard et
que le retour sur le terrain n’est plus possible, que certaines données
complémentaires seraient nécessaires pour assurer la solidité des
interprétations ou donner sens à un résultat émergent, mais cette
difficulté n’est pas propre à la recherche action.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire