Comment Free veut conquérir l'Amérique
LE MONDE | • Mis à jour le |Sarah Belouezzane
D'habitude, ce sont les Américains, à l'instar de General Electric lors de son offensive sur Alstom, qui viennent faire leur marché en France. Cette fois, ce sont des « frenchies » qui s'intéressent à un acteur américain. Révélée par le Wall Street Journal, l'information selon laquelle Iliad, maison mère de Free, s'intéresserait à l'opérateur américain T-Mobile, filiale de Deutsche Telekom, a été confirmée par les intéressés jeudi 31 juillet.
« Iliad a soumis au conseil d'administration de T-Mobile US une offre indicative pour T-Mobile US. Cette offre a le soutien intégral de M. Xavier Niel et a été approuvée unanimement par le conseil d'administration d'Iliad », écrit l'opérateur français dans un communiqué. (M. Niel est actionnaire à titre privé du Monde).
Ce faisant, le quatrième acteur hexagonal entre en compétition avec l'américain Sprint, troisième opérateur outre-Atlantique. Ce dernier avait exprimé sa volonté d'acquérir 50 % de T-Mobile et était en discussions avancées en vue d'y parvenir.
- Les détails de l'offre
Les dirigeants d'Iliad, qui ont rencontré leurs homologues de T-Mobile en juin dernier, ont déposé leur offre mi-juillet : celle-ci se monte à 15 milliards de dollars en numéraire (11,2 milliards d'euros) pour 56 % de l'entreprise. Soit 33 dollars par action. Le groupe français, qui estime les synergies possibles entre les deux opérateurs à 10 milliards de dollars, valorise le reste de l'entreprise à 40,5 dollars par action. La valorisation totale de T-Mobile par Iliad se monterait alors à 36,2 dollars par action, soit plus de 26 milliards de dollars en tout. Et 17 % de plus que son cours de clôture jeudi soir. L'opérateur américain a d'ailleurs bénéficié de l'offre en Bourse : il a pris 6 % après clôture pour finir à 32,94 dollars.
Pour avaler l'américain, bien plus gros que lui (Free pèse 16 milliards de dollars en Bourse alors que T-Mobile vaut aujourd'hui 24,8 milliards), le trublion des télécoms français va devoir procéder à une augmentation de capital de deux milliards d'euros, à laquelle M. Niel participera personnellement.
Les 9 milliards d'euros restants seront empruntés conjointement par le groupe et par une structure créée spécialement pour l'occasion. C'est cette dernière qui se portera, d'ailleurs, acquéreuse de T-Mobile. Elle supportera 5 milliards d'euros de dette, contre 4 milliards pour la maison mère de Free. Conseillée par la banque Lazard, Iliad est soutenue par un pool de grandes banques mené par la française BNP Paribas et la britannique HSBC.
- Quelles sont les chances de Free de l'emporter ?
Bien qu'inconnu aux Etats-Unis, Iliad a ses chances. Certes, le troisième opérateur Sprint est en lice pour le rachat de T-Mobile depuis plus longtemps et avec une offre supérieure. Le japonais Softbank, son actionnaire de référence, avait manifesté son intérêt pour la filiale de Deutsche Telekom, quelques semaines à peine après avoir mis la main sur Sprint en 2012. Mais un mariage entre le troisième et le quatrième acteur américains n'a rien d'évident. Selon le Wall Street Journal, les autorités de régulation du pays ne voient pas, pour l'instant, d'un très bon oeil un passage de quatre à trois opérateurs aux Etats-Unis.
Le rachat de T-Mobile par Iliad ne poserait, lui, aucun souci de concurrence, l'opérateur fondé par M. Niel n'opérant pas sur le sol américain. Cela dit, vendredi 1er août au matin, le titre d'Iliad s'effondrait de 19 %, signe que les marchés restent sceptiques.
- Qu'en pensent les marchés ?
Certains pensent que l'offre est trop basse par rapport à celle de Sprint, qui est de 40 dollars par action. D'autres soulignent qu'Iliad n'a pas fini de se renforcer sur le marché français. « On se demande quand même où ils vont », soupire un observateur du secteur. « Sur le papier, T-Mobile est un actif avec encore un vrai potentiel de gains de parts de marché, souligne Stéphane Beyazian, du groupe de services financiers Raymond James, le cours est sanctionné car ils ont pris le contre pied du marché, ils vont aux Etats-Unis alors que tout le monde s'attend à ce qu'ils consolident le marché français. »
Lire la revue de presse : L'offre d'Iliad pour T-Mobile, un « coup de poker de Xavier Niel » pour la presse américaine
- Quelles sont les spécificités du marché américain ?
Si Iliad s'intéresse au marché américain, c'est que ce celui-ci est robuste et lucratif. Là où les Français payent aujourd'hui moins de 20 euros pour voix, SMS illimités et 3 gigaoctects (Go) de données, les Américains déboursent en moyenne 80 dollars, soit 60 euros. Dans ce contexte, le français espère appliquer son modèle à T-Mobile, et ainsi dynamiter le marché américain, ce qu'a commencé à faire T-Mobile.
Certes, les structures de coûts de l'américain et du français ne sont pas les mêmes, le premier n'ayant pas été conçu et géré depuis le début pour supporter des tarifs attractifs tout en étant rentable. Pour autant, les analystes estiment qu'en exportant leur savoir-faire, les dirigeants du quatrième acteur français pourraient faire faire à T-Mobile des économies substantielles.
L'opérateur français, qui a cassé les prix dans le mobile lors de son arrivée sur le marché en janvier 2012, applique en effet des méthodes qui ont fait leurs preuves : intégration de la plupart des activités (conception d'équipements, centres d'appels…), gestion informatique simplifiée par l'existence de quelques offres, dépenses marketing limitées à l'essentiel… Il semble que de ce point de vue-là, beaucoup de choses sont à faire chez T-Mobile.
Lire le décryptage : La fusion T-Mobile et Free en chiffres
- Sarah Belouezzane
Journaliste High Tech-Telecoms au MondeSuivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter
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