Salama,
un tout petit groupe ,intéréssé par culture malgache,,
Chacun pouvant au rythme de ses foucades, y déposer son grain de sel,,
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Le
25 janvier 2014, l’investiture du président Hery Rajaonarimampianina
mettait un terme à une transition ouverte le 17 mars 2009. Ce jour-là,
Marc Ravalomanana dissolvait le gouvernement et démissionnait en faveur
d’un Directoire militaire, avant de s’enfuir en Afrique du Sud. Aussitôt
contestés par les officiers supérieurs et subalternes, les trois hauts
gradés de ce Directoire transmettaient le pouvoir à celui qui menait le
mouvement populaire depuis des mois, Andry Rajoelina [1][1] Ce que les partisans de Ravalomanana, soutenus par....
Après la tenue d’élections présidentielles et législatives fin 2013 et
la mise en place d’un nouveau gouvernement en avril 2014, les acteurs
locaux et les observateurs étrangers estiment que la crise est
aujourd’hui terminée.
La
République de Madagascar est-elle tirée d’affaire pour autant ? Il est
permis d’en douter. À preuve, il aura fallu deux mois et demi au
Président pour nommer un Premier ministre car la nouvelle
Assemblée nationale, qui comptait alors 149 élus, s’était découvert
deux majorités, l’une de 76 et l’autre de 93 voix, chacune s’estimant
habilitée à proposer au Président le nom du Premier ministre [2][2] « Le Président de la République nomme le Premier ministre,.... Et bien sûr, pas un seul opposant ne s’est encore manifesté dans cette Chambre introuvable !
Dès
lors, la question se pose de savoir si des institutions d’apparence
démocratique, issues d’élections supervisées par la communauté
internationale, sont la garantie d’un État de droit ou si elles ne
servent qu’à conforter la bonne conscience de l’Occident. À ce titre,
l’expérience de la Grande Île est exemplaire, puisqu’elle a connu quatre
Républiques et cinq transitions en un demi-siècle ! C’est dire que le
problème est ailleurs et que, on le verra, la crise est appelée à durer
aussi longtemps que le pays n’aura pas achevé la mutation sociale en
cours.
Les
apparences sont trompeuses, et illusoires les exigences de ladite
communauté internationale – en l’occurrence, les bailleurs de fonds
occidentaux et les institutions internationales sous tutelle américaine.
S’il suffit de tenir des élections cautionnées par des observateurs
étrangers, d’être gouverné par des responsables ainsi élus et de se
réclamer du libéralisme économique, Madagascar a été un pays
démocratique à plusieurs reprises ces dernières années. Or ses
Républiques successives se sont toutes soldées, avec ou sans caution
internationale, par autant d’échecs. Un bref survol en rappellera le
parcours tourmenté.
Père
de l’indépendance et incarnation du néocolonialisme, Tsiranana est
renversé par une fronde estudiantine sanglante en 1972. Fort d’un mandat
populaire pour gérer une transition de cinq ans, le général Ramanantsoa
jette l’éponge en 1975, au profit du colonel Ratsimandrava assassiné
six jours plus tard. Un Directoire militaire confie alors le pouvoir au
capitaine de corvette Ratsiraka, qui se fait plébisciter avec une
Constitution socialiste et un Livre rouge (Boky mena) en décembre 1975. Après cinq années de nationalisations, de
gabegie et d’investissements incohérents, le pays ruiné subit la potion
amère de l’ajustement structurel… jusqu’à ce que la population,
excédée, obtienne une nouvelle transition en 1991, après un massacre
plus meurtrier que celui de 1972.
Le
chirurgien Zafy gagne les élections de 1993, menées au nom de la
démocratie et du libéralisme, mais il est « empêché » par le Parlement
trois ans plus tard. Fin 1996, une troisième transition permet le retour
de Ratsiraka, devenu chantre de l’humanisme écologique ! Puis l’homme
d’affaires Ravalomanana se proclame élu dès le premier tour de
l’élection de décembre 2001, et s’impose à l’issue d’une transition
sanglante qui a failli se terminer en guerre civile ; après les
États-Unis, la communauté internationale entérine le fait accompli. Mais
en dépit d’aides extérieures massives et d’une croissance
incontestable, le nouveau régime succombe à la corruption, aux
inégalités galopantes et à l’autoritarisme d’un président qui met
l’économie nationale en coupe réglée à son profit.
Suit
une cinquième transition, le 17 mars 2009, dirigée par l’entrepreneur
Rajoelina, maire d’Antananarivo. L’Union africaine s’émeut et la
communauté internationale (États-Unis et Union européenne, en
l’occurrence) sanctionne le pays – c’est-à-dire sa population déjà
misérable, qui s’appauvrit encore. Puis, au lieu de s’en remettre aux
urnes pour régler le conflit opposant Ravalomanana et Rajoelina, elles
exhument les anciens présidents Ratsiraka et Zafy, honnis de tous mais
toujours ambitieux, pour imposer une sortie de crise « inclusive et
consensuelle ». Deux ans seront nécessaires pour négocier une Feuille de
route réunissant les quatre « mouvances » dans un gouvernement dit
d’Union nationale et dans un Parlement pléthorique de membres désignés ;
et deux ans encore pour que ces parvenus finissent par organiser des
élections où ils auront tout à perdre.
Ces
échecs en série sont habituellement attribués à une classe politique
incompétente et dévoyée. Les Malgaches, il est vrai, ne se font aucune
illusion sur leurs dirigeants, à l’ego disproportionné et aux
compétences surfaites, qui n’agissent que pour leur intérêt personnel et
se moquent éperdument de l’intérêt général du pays. Mais le plus grave
est qu’ils ne sont pas plus motivés que le reste de la population par le
civisme ou le patriotisme, qu’ils ne se sentent
pas davantage liés par le respect de la loi ou le sens de l’État, et ne
sont pas plus culpabilisés de pratiquer la corruption ou de détourner
l’argent public…
Ces
comportements choquent d’autant moins que chacun admet volontiers qu’il
les adopterait sans difficulté si l’opportunité lui en était donnée.
Mises à part les obligations familiales et sociales imposées par la
coutume, personne ne se sent tenu d’agir pour respecter la morale ou
pour fuir la réprobation sociale. Il n’est que de voir les politiciens
auteurs des pires malversations, qu’ils aient été condamnés ou pas, se
pavaner dans les salons et être honorés comme si de rien n’était.
Imposées par une tradition toujours vivace, ces réactions neutralisent
toute contestation personnelle (au nom du henamaso – la
honte du regard de l’autre) ou collective (au nom du consensus) et
expliquent la faiblesse voire l’inexistence de la société civile, en
dépit de la lucidité critique d’une minorité.
À
l’impasse du politique s’ajoutent les séquelles de l’histoire. On
oublie souvent que les principaux blocages de la société malgache
d’aujourd’hui datent du XIXe siècle [3][3] Voir Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar....
Établie autour d’Antananarivo, dans la partie Nord des hautes terres
centrales, l’ethnie Merina conquiert les deux tiers de la Grande Île au
début du siècle, et la Grande-Bretagne reconnaît le Royaume de
Madagascar et son roi Radama II dès 1817. Une décision diversement
appréciée, les Betsileo (établis au Sud des hautes terres centrales) et
les ethnies de la côte parlant de guerres coloniales, les Merina y
voyant les étapes d’une guerre d’unification nationale. De plus, les
conditions de ces conquêtes et l’administration des populations vaincues
ont laissé des souvenirs traumatisants. Le dépouillement des archives
royales permettrait d’en avoir une vision plus objective, mais il est
difficile de savoir comment les populations concernées réagiraient à
leur publication.
Le
temps de la colonisation relève de la même ambiguïté. Certaines
ethnies, notamment les Betsimisaraka de la côte Nord-Est et les
Betsileo, accueillent avec satisfaction les troupes françaises qui ont
conquis le pays en 1895, estimant qu’elles les libéraient de la
domination merina. La région de l’Imerina
par contre est le théâtre d’une forte résistance nationaliste des
Menalamba (toges rouges). Après un répit de courte durée, la résistance
au pouvoir colonial s’organise progressivement autour des intellectuels
et des clercs ; elle culmine, après la Seconde Guerre mondiale, dans la
revendication de l’indépendance. Mais les préventions du passé
s’imposent à nouveau, qui opposent les côtiers suspectés de collaborer
avec les Français dans le cadre du PADESM [4][4] Sur ce sujet toujours délicat, voir le livre magistral..., et les Merina censés incarner un nationalisme intransigeant dans le cadre du MDRM [5][5] Mouvement démocratique de la rénovation malgache, fondé....
L’échec de l’insurrection du 29 mars 1947 ne fait que raviver les
antagonismes anciens, et continue à empoisonner les relations entre les
Merina et les autres ethnies.
De
même, les séquelles de l’esclavage ancien demeurent l’un des grands
obstacles à la réalisation d’une société unifiée et pacifiée [6][6] Voir Ignace Rakoto et Sylvain Urfer (dir.), Esclavage.... La question se pose surtout en Imerina, où les mainty
(noirs), anciens serviteurs royaux, jouissaient d’une position sociale
enviable. Après l’abolition de l’esclavage en 1896, ils sont confondus
avec les andevo (esclaves), et les deux groupes sont désormais appelés mainty. Sur eux pèse un évident mépris de la part des groupes statutaires hova (sujets libres) et andriana (nobles) qui se disent fotsy (blancs), leur l’apparence physique, teint clair et cheveux lisses, les distinguant des mainty
au teint sombre et aux cheveux crépus. Or cette discrimination sociale
existe toujours, en dépit des dénégations des uns et des autres. Elle
est sous-jacente au débat politique récent, les partisans de l’ancien
président Ravalomanana se recrutant surtout parmi les fotsy, les mainty soutenant plutôt Rajoelina.
L’illusion
du politique et les non-dits de l’histoire ne sont que des éléments
d’un problème plus vaste, qui touche à l’ensemble de la société
malgache. Pour la première fois de son histoire, celle-ci se voit
confrontée à une culture étrangère, européenne aux XIXe et XXe siècles, mondialisée aujourd’hui. Ce combat inégal entraîne le
rejet des croyances et des comportements traditionnels, ainsi que la
perte des valeurs ancestrales. L’exode rural en est la première
manifestation, provoquée par le refus du conformisme social autant que
par la misère. Le phénomène se développe ensuite dans les quartiers
périphériques des villes, à commencer par la capitale. Venus de toutes
les régions, éloignés des réseaux familiaux, habitant des abris de
fortune et voués à l’économie informelle, les nouveaux citadins
élaborent un vivre-ensemble où le pouvoir des anciens, la prééminence
des hommes sur les femmes et celle des aînés sur les cadets sont les
premiers contestés. Sont ensuite remises en cause les valeurs
traditionnelles telles le fihavanana (solidarité familiale) ou le marimaritra iraisana (consensus), et tout ce qui constitue un frein à l’autonomie des personnes dans le groupe.
Cette mutation n’est pas arbitraire. Des chercheurs américains [7][7] Douglass C. North, John J. Wallis et Barry R. Weingast,...
l’ont qualifiée de passage d’un « ordre social d’accès limité, ou État
naturel » à un « ordre d’accès ouvert », la décrivant en des termes qui
correspondent parfaitement à la réalité malgache. Le premier est
caractérisé par « la prédominance des relations sociales organisées sur
un mode personnel, reposant sur des privilèges, une hiérarchie sociale,
des lois appliquées au cas par cas, des droits de propriété fragiles et
le présupposé que tous les individus ne sont pas égaux [8][8] Idem., p. 33. ».
Dans le second, « les relations personnelles ont encore leur place,
mais des catégories impersonnelles d’individus, ordinairement appelés
citoyens, interagissent dans les vastes domaines du comportement social
sans forcément avoir à connaître l’identité individuelle de leurs
interlocuteurs. L’identité, qui, dans les États naturels, est inhérente à
la personne, se définit dans les ordres d’accès ouvert comme un
ensemble de traits impersonnels [9][9] Idem., p. 18. ».
En d’autres termes, la prédominance des relations citoyennes se
substitue, dans la société, à celle des relations familiales.
Pareils
changements relèvent de l’histoire longue et s’étalent sur des
générations. Mais pour qu’ils ne se dévoient pas dans l’individualisme
et la violence, il convient de les accompagner et de les orienter. Deux
exemples suffiront à indiquer la ligne à suivre. La force contraignante
du henamaso[10][10] Voankazoanala, Le Henamaso, taureau à dompter, Foi...,
inhibiteur autant que régulateur social, peut contribuer à inculquer le
respect que chacun doit donner à l’autre et que lui-même est en droit
de recevoir ; ceux qui en ont été les bénéficiaires à ce jour devront le
pratiquer à leur tour, dirigeants auprès des citoyens, élus à l’égard
des électeurs, administrations vis-à-vis des usagers du service public,
etc. Il en va de même du marimaritra iraisana (consensus) [11][11] Voankazoanala, Le consensus à l’épreuve, Foi & Justice,...,
devenu facteur de blocage à force d’être invoqué à tout moment,
notamment dans la vie politique. Il retrouvera sa raison d’être et sa
force de conviction s’il se concentre sur les valeurs fondamentales du
vivre ensemble, dans un esprit de solidarité et de convivialité : droits
humains (ceux des femmes et des enfants en particulier), culte des
ancêtres, sauvegarde de l’environnement, civisme et respect de la loi,
rejet des résurgences de l’esclavage ancien, unité nationale par-delà
les différences ethniques… Ainsi la Grande Île parviendra-t-elle à
moderniser sa culture traditionnelle tout en sauvegardant le contenu de
ses valeurs ancestrales. Et, dans la même logique, seront
progressivement réunies les conditions d’une société démocratique et
d’un État de droit issu d’élections crédibles.
L’avenir
de Madagascar ne se construira pas sans l’implication de ses citoyens.
Toutes les composantes de la société sont conviées à y participer,
notamment les Églises chrétiennes qui réunissent près de la moitié de la
population dans leurs dénominations diverses [12][12] L’appartenance religieuse n’a pas encore été prise....
Elles bénéficient de l’importance du sacré dans la culture
traditionnelle, qui infuse toute la vie personnelle et sociale, y
compris le pouvoir – ce dont profitent les hommes politiques autant que
les clercs. Pour le Malgache en effet, la vie est un flux interrompu qui
va du Créateur jusqu’à l’homme, par l’intermédiaire des ancêtres et des
parents ; ce flux vital englobe également
l’environnement : famille, parents, voisins, rizières, pirogues et
village, bref, tout ce qui, pour chaque être humain, est « vital ».
Élément constitutif de la société, le sens du sacré donne aux
organisations religieuses, quelles qu’elles soient, une influence
déterminante, sans que leurs engagements soient toujours à la hauteur
des responsabilités qui leur sont conférées.
En
ce domaine, l’exemple du FFKM (Conseil des Églises chrétiennes à
Madagascar) est révélateur. Créé en 1979 par les Église historiques
(catholique, réformée, luthérienne et anglicane), il délaisse
l’œcuménisme pour dénoncer les dérives du régime Ratsiraka. Après avoir
organisé une première Conférence nationale en 1991 (au terme de laquelle
les évêques catholiques se retirèrent), il devient partie prenante des
institutions de la Transition qui prépare la victoire de Zafy. Le rapide
échec de celui-ci ruine la crédibilité du FFKM pour de longues années.
Mais il s’engage à nouveau, dès 2001, en faveur de Ravalomanana – déjà
vice-président laïc de l’Église réformée FJKM –, avec l’active
complicité du cardinal-archevêque d’Antananarivo. Après le départ en
retraite de ce dernier à la fin de l’année 2005, la conférence
épiscopale revient à sa neutralité habituelle, provoquant l’ire d’un
chef d’État qui rêve d’instaurer la théocratie à Madagascar ! Rien
d’étonnant donc si le FFKM n’a pu mener à bien la médiation entre
Ravalomanana et Rajoelina en 2009, ni la réconciliation nationale depuis
lors. Par contre, le pape François a clairement indiqué la voie à
suivre aux évêques malgaches en visite ad limina,
le 28 avril 2014 : « La recherche de l’unité, de la justice et de la
paix vous incombe pour mieux servir votre peuple, en refusant toute
implication dans des querelles politiques au détriment du bien commun. »
Trois
pistes s’ouvrent alors pour l’Église catholique. La première concerne
la crédibilité de son témoignage, ce que rappelait le pape lors de la
même rencontre à Rome : « Le sacerdoce comme la vie consacrée ne sont
pas des moyens d’ascension sociale, mais un service de Dieu et des
hommes. […] Le contre-témoignage en ce domaine est particulièrement
désastreux en raison du scandale qu’il provoque, en particulier face à
une population qui vit dans le dénuement. » La seconde vise la dimension
sociale de son engagement évangélique. Le cardinal Razafindratandra s’en inquiétait déjà devant Jean-Paul II, lors d’une précédente visite ad limina,
le 26 septembre 1998 : « Nos problèmes actuels proviennent sans doute
moins de structures politiques que de comportements personnels et
collectifs devant le pouvoir, l’argent, les responsabilités et la
gestion. Si notre Église a su être un moteur du changement politique,
elle n’a pas vraiment réussi à initier le changement social. [13][13] Cité dans Église et société à Madagascar, tome V (1995-2000),... »
La troisième piste consiste alors à accompagner la mutation culturelle
en cours, notamment pour adapter les valeurs traditionnelles à la
société contemporaine. Pour ce faire, l’Église dispose d’atouts
majeurs : la confiance des fidèles et de la population environnante, un
réseau paroissial qui couvre l’ensemble du territoire, des institutions
éducatives nombreuses et variées, un personnel de clercs et de laïcs
relativement qualifié. Il lui reste à accepter le diagnostic avec
lucidité, et à agir avec désintéressement.
On
l’aura compris, la fin de la transition à Madagascar n’est pas synonyme
de sortie de crise. Faut-il s’en émouvoir ? Certainement pas, à
condition toutefois de bien comprendre les raisons de l’instabilité
sociale dont les remous politiques ne sont que le reflet. Vouloir
réformer ou démocratiser la seule sphère politique serait, pour l’heure,
se tromper de combat : insensibles à toute critique et à tout sentiment
de honte, les responsables politiques ne font que renvoyer à la
population l’image qu’elle attend d’eux en tant que détenteurs d’un
pouvoir sacralisé.
D’où
l’importance d’accompagner, en l’orientant positivement, le mouvement
de décomposition sociale qui est désormais irréversible. L’effet en sera
doublement bénéfique : la population ne subira plus l’impitoyable
pression sociale qui l’asservit au profit des groupes statutaires
dominants, et les Malgaches, surtout ceux de la jeune génération,
réaliseront enfin leur besoin d’accéder à l’autonomie personnelle au
sein de la communauté. Tel est le défi sur lequel se joue l’avenir de
Madagascar et, sans doute aussi, de l’Afrique subsaharienne.
Ce que les partisans de
Ravalomanana, soutenus par l’Union Africaine, l’Union Européenne et les
États-Unis, qualifient de « coup d’État ». En réalité, le véritable coup
d’État est imputable à Marc Ravalomanana : la Constitution en vigueur
ne l’autorisait à démissionner qu’en faveur du Président du Sénat. Quant
à Rajoelina, il n’accepta ce transfert de pouvoir qu’après sa
validation, certes prévisible, par la Haute Cour Constitutionnelle.
« Le Président de la République
nomme le Premier ministre, présenté par le parti ou le groupe de partis
majoritaire à l’Assemblée Nationale » (Constitution, article 54).
Voir Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXesiècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État, Karthala, 1991.
Sur ce sujet toujours délicat, voir le livre magistral de Jean-Roland Randriamaro, PADESM et luttes politiques à Madagascar. De la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la naissance du PSD, Karthala, 1997.
Douglass C. North, John J. Wallis et Barry R. Weingast, Violence et ordres sociaux. Un cadre conceptuel pour interpréter l’histoire de l’humanité, Gallimard, 2010.
L’appartenance religieuse n’a pas
encore été prise en compte, à ce jour, par les recensements de la
population effectués depuis 1960. Selon les estimations, les chrétiens
représenteraient environ 50 % du total (dont la moitié serait
catholique, l’autre moitié répartie entre réformés, luthériens,
anglicans et, de plus en plus, évangéliques) et les musulmans 7 %, le
reste étant composé des adeptes de la religion traditionnelle.
Cité dans Église et société à Madagascar, tome V (1995-2000), 2001, p. 87.
Résumé
Français
La situation politique malgache semble stabilisée. Mais rien n’est réglé
pour autant. Il importe de connaître l’histoire de l’île, ses divisions
ethniques et ses mutations culturelles. Une reprise des valeurs
traditionnelles peut aider la transition actuelle. Les Églises ont leur
rôle à jouer, à condition qu’elles évitent de s’impliquer, comme elles
l’ont fait autrefois, dans les querelles politiques.
C'est un autre virus
qu'Ebola, celui de la peur et de la haine, qui a semé la mort, mardi
16 septembre, dans un village reculé de Guinée forestière. Une mission
de sensibilisation sur l'épidémie qui sévit en Guinée depuis le début de
l'année a été attaquée à Womé, non loin de la frontière avec le
Liberia. « Huit personnes, sept membres de la délégation, dont trois journalistes, et un habitant, ont été lynchées par des villageois », a expliqué au Monde le ministre guinéen de la santé, le colonel Rémy Lamah, joint à Conakry par téléphone.
Sept corps, dont ceux des représentants du personnel de santé de
l'hôpital de N'Zérékoré (la deuxième plus grande ville de Guinée, proche
de Womé), un pasteur, le sous-préfet, et plusieurs journalistes venus
couvrir l'opération, ont été retrouvés deux jours plus tard dans la
fosse septique d'une école de Womé. Le dernier cadavre gisait sur la
route à l'entrée du village. « Certains portaient des traces de coups de machettes », témoigne le colonel Lamah, qui s'est rendu sur place.
D'après le ministre, l'arrivée de cette délégation qui comprenait
également le préfet et le gouverneur de la région avait été annoncée et
préparée avec les chefs guerzé, la communauté ethnique à laquelle
appartiennent les habitants de Womé. « La délégation a été bien
accueillie dans un premier temps, elle a commencé à expliquer à la
population les mesures sanitaires à prendre pour éviter d'être
contaminée, puis la réunion a dégénéré en violences », détaille le ministre. Selon plusieurs témoignages, un participant à la réunion a accusé la délégation « d'amener le virus dans la région », provoquant un mouvement de foule, puis des jets de pierres sur les intervenants. « CRUAUTÉ INJUSTIFIABLE » « Des jeunes armés de machettes ont alors surgi et les ont attaqués, tout cela était prémédité », accuse Rémy Lamah. Le premier ministre, Mohamed Saïd Fofana, a condamné avec « la plus grande fermetéacte de cruauté intolérable et injustifiable »
et annoncé l'ouverture d'une enquête. Six personnes, dont un
instituteur, ont été interpellées par la police dans les jours suivant
le drame.
Ces violences illustrent la défiance d'une partie de la population
vis-à-vis des autorités, critiquées pour leur mauvaise gestion de cette
épidémie, partie en décembre 2013 de Guinée forestière et qui a déjà tué
632 personnes dans le pays, selon les derniers chiffres communiqués par
l'Organisation mondiale de la santé (OMS). « Les gens en Guinée forestière n'acceptent pas d'être montrés du doigt et accusés d'avoir contaminé toute la région »,
explique Béatrice Abouya, chercheuse à Conakry pour l'ONG Search for
Common Ground, spécialisée dans la prévention des conflits.
Depuis plusieurs semaines, des SMS circulent pour dire qu'Ebola est
une invention du gouvernement guinéen visant à décimer la population de
Guinée forestière. « Rien ne peut expliquer de telles violences,
mais les habitants supportent mal de voir certains de leurs rites
interdits – notamment les inhumations – de façon brutale par les
autorités. Il y a un problème de communication », ajoute-t-elle.
La région forestière, à cheval sur la Guinée, le Liberia et la Côte
d'Ivoire, a été secouée ces derniers mois par des conflits meurtriers
entre les communautés locales, guerzé notamment, et malinké. «
Aucune enquête sérieuse n'a été conduite à la suite des violences
précédentes qui ont fait des dizaines de morts. Les populations ont donc
le sentiment d'être oubliées par les autorités de Conakry et que les auteurs des violences agissent en toute impunité, regrette Béatrice Abouya. Cette épidémie qui fait rejaillir de vieilles rancoeurs est devenue une véritable source de conflit entre les communautés. »