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SEHATRA
FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
Observatoire
de la Vie Publique
Lot TR 41
Ampahimanga, Ambohimanambola 103
Qui décide, à Madagascar ?
Le
30 août 2016, la Représentante spéciale de la Commission de l’Union
Africaine, exigeait que soient mises en œuvre les dispositions de la Feuille de route de sortie de crise à
Madagascar signée le 16 septembre 2011. Or sa présence même à Antananarivo démontre
par l’absurde que la crise à Madagascar est officiellement terminée ! Et
la voilà qui somme les Malgaches de renoncer à toute idée d’élection
présidentielle anticipée, au prétexte que l’Union africaine s’y oppose (« ce ne sont pas les élections anticipées qui vont sauver ce peuple »),
ajoutant que le pays n’a pas l’argent pour les organiser : « Qui va financer ces élections anticipées ? ». Tout cela en réponse au mouvement
d’opposition Mistangàna Ry Malagasy
qui demandait le départ du chef de l’État et la tenue d’élections anticipées. En
clair, l’UA s’arroge le droit de décider du destin de Madagascar, quoi qu’en pensent
les Malgaches.
Le
28 octobre 2016, la Country manager de
la Banque mondiale à Madagascar définissait ainsi les « priorités de l’État »
malgache : « Est-ce que vous payez les enseignants pour assurer la
rentrée scolaire des enfants, qu’ils soient à Antananarivo, à Farafangana ou à
Mahajanga, ou en pleine campagne pour qu’un enseignant soit là, ou est-ce qu’on
sert l’électricité à 14% de la population à Antananarivo ? C’est un
choix ». Et de féliciter le ministère des Finances « d’avoir privilégié
le service de base pour le plus grand nombre de Malgaches, plutôt que d’essayer
de privilégier un petit nombre de population à Tana pour avoir accès à
l’électricité »[1]. Bref, peu importe si
cette population urbaine « privilégiée » produit avec cette
électricité dans ses usines, bureaux et ateliers, peu importe si
l’électrification rurale peine également à décoller, les priorités du pays ne deviennent
acceptables qu’à partir du moment où elles sont avalisées par la Banque mondiale.
La
question se pose donc de savoir qui décide, à Madagascar : le pouvoir
légal ou les bailleurs de fonds ? À lire le Rapport du Fonds Monétaire
International (« FMI ») N°16/273 d’août 2016, le décaissement
semestriel jusqu’en juillet 2019 d’environ 43,5 millions USD repose à chaque
fois sur une revue par le FMI de la réalisation par le gouvernement de diverses
actions et des « réformes structurelles ». Le Ministre des Finances
tente tant bien que mal de répondre aux exigences de ce bailleur en chef. Si le
FMI demande la maîtrise, puis la réduction, des transferts aux entreprises
publiques telle que la JIRAMA, le ministère fait savoir que la situation
désastreuse de la JIRAMA provient essentiellement de la gabegie et de la corruption.
Factures non recouvrées : « 60% des facturations, soit 50 milliards
d’Ariary par mois sur une facturation de 80 milliards d’Ariary » ; passation
de marchés questionnable : « le prix d’achat de carburant est plus élevé
que les prix à la pompe des stations-services alors que la société d’État
achète en grande quantité et via appels d’offres » ; mauvaise gestion :
« pertes non techniques de l’ordre de 20%, principalement liées à des
branchements illicites »[2], etc. Si le FMI demande
l’accroissement des recettes fiscales, la loi de finances 2017 verra
l’introduction de nouvelles taxes, comme la taxe de résidence pour le développement
et la taxe sur les animaux domestiques … Malgré ces efforts, nous n’avons
sensiblement pas l’impression que le régime est véritablement maître de notre destin
collectif. Et que sans l’incitation du FMI et des bailleurs, le gouvernement
actuel ne prioriserait une gouvernance économique très rigoureuse. Encore une
fois, la question se pose plus que jamais de savoir qui décide, à Madagascar : le
pouvoir légal ou les bailleurs de fonds ?
Restera
à savoir si la conférence des bailleurs qui se tiendra à Paris les 1er
et 2 décembre prochains, apportera les 3,4 milliards de dollars recherchés pour
financer les divers projets de mise en œuvre du Plan national de développement.
Du menu de projets présentés, quels choix feront les bailleurs ? 360
millions de dollars pour la viabilisation de zones économiques spéciales (un
montant égal, il faut noter en passant, à l’enveloppe entière jusqu’en 2019 de
la Facilité de Crédit Elargi du FMI) ? 172 millions pour l’éducation[3] ? Ou 89 millions de
dollars pour la viabilisation de l’aéroport de Tuléar, pour ne nommer que
quelques exemples.[4]
Les « projets structurants » sont-ils suffisamment alignés sur les
priorités des bailleurs, en termes non seulement techniques mais aussi en
termes de moyens, dans ce monde devenu incertain et où les urgences sont
nombreuses ? Madagascar recevra-t-il les engagements espérés pour combler
les recettes internes insuffisantes et enrayer la récession de ces dernières
années ? Les engagements de cette semaine seront-ils nouveaux ou juste une
réitération des intentions de financement déjà connues de tous ? Quel
pourcentage de ces engagements viendra du secteur privé par le biais de PPP peu
transparents ? Même si les promesses se transforment en engagements
fermes, et les décaissements se concrétisent, l’État
sera-t-il à même de les réaliser convenablement ?
L’histoire
récente de la Grande Île, depuis le « programme d’ajustement
structurel »[5]
des années 1980 à la suite de la gestion économique calamiteuse du président
Ratsiraka jusqu’à la fin de la Transition de 2009-2013, montre à l’envie que le
pays n’a guère été consulté par les « bailleurs de fonds ». À leur décharge,
rappelons qu’aucun des régimes successifs n’a présenté de projet cohérent et
concret de développement économique et social, et qu’aucun d’entre eux n’a
engagé des actions suivies pour améliorer les conditions de vie de la population.
À preuve, les dirigeants actuels se complaisent dans des mesures ponctuelles,
démagogiques et électoralistes, faute de vision économique à court, moyen et
long terme.
Antananarivo,
29 novembre 2016
[1]. L’Express de Madagascar du 31 octobre 2016. A quoi Sylvain
Ranjalahy avait déjà répliqué la veille, dans un éditorial intitulé « Voir
ou savoir » : « C’est un raccourci dangereux que de minimiser le
problème de cette façon, de surcroit de la part d’une grande responsable de la
première institution financière mondiale. Elle semble avoir oublié la catastrophe
économique incommensurable causée par le délestage. (…) La permissivité des
bailleurs de fonds vis-à-vis d’un régime incompétent et corrompu durant 40 ans
maintenant a été le principal facteur de la pauvreté chronique qui mine le
pays. Si toutes les aides avaient été contrôlées et utilisées à bon escient, on
n’en serait pas là aujourd’hui », L’Express
de Madagascar du 29 octobre 2016.
[2]. L’Express de Madagascar, 27 octobre 2016.
[3]. Les bailleurs d’étant déjà engagé
à financer 94 millions USD sur une demande globale de 266 millions USD.
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