RANDRIANJA (Solofo) (dir.), Madagascar, le coup d’État de mars 2009
Politique africaine N° 129, 2013/1
http://www.cairn.info/revue-
RANDRIANJA (Solofo) (dir.), Madagascar, le coup d’État de mars 2009, Paris, Éditions Karthala, coll. « Hommes et Sociétés », 2012, 334 pages
26Cet ouvrage rassemble onze contributions inscrites dans un engagement orienté vers le refus du pouvoir malgache actuel dirigé par Andry Rajoelina, au cœur du paroxysme d’instabilité faisant suite au renversement du président Marc Ravalomanana en mars 2009. Ces textes à charge ont-ils leur place dans une collection de sciences sociales ? La réponse n’est pas simple parce que le livre brouille les genres, entrelaçant dans les mêmes textes des affirmations polémiques et des analyses stimulantes, juxtaposant des témoins militants et des universitaires inégalement distanciés.
27Ce livre composite dénote une remise à plat du politique chez des éléments dispersés de la classe moyenne urbaine ayant refusé de faire le choix de la rente. La segmentation et la confusion du débat politique reviennent comme un leitmotiv. Tous les auteurs posent avec passion les mêmes questions : qu’est-ce que la nation malgache ? Comment voulons-nous être gouvernés ?
28Le premier et le dernier chapitre sont signés par le coordinateur de l’ouvrage. Il souligne la nécessité d’emboîter les temporalités en considérant à la fois l’agenda de l’éviction de Marc Ravalomanana et « les causes endogènes lointaines » (p. 19) de l’instabilité, aucun régime n’ayant succédé au précédent sans l’intervention de la rue et de tout ou partie de l’armée. Les ambiguïtés du positionnement de la France sont justement évoquées, mais il n’est pas encore démontré, comme le suggère Randrianja (p. 14-16), que la diabolisation de Marc Ravalomanana par Andry Rajoelina et ses clientèles correspond à une conspiration longuement préparée. De même, l’affirmation d’une coordination nationale des pillages centrés sur les biens de Marc Ravalomanana est une hypothèse et non un fait avéré. Au-delà de ces réserves, la charge contre la notion de néopatrimonialisme et le rejet épistémologique du terme de tradition méritent le débat, Randrianja récusant toute vision essentialiste et « anhistorique » (p. 23) du politique à Madagascar. Si le paradigme wébérien de la domination patrimoniale mérite d’être amendé, on sait – Ranger et Sahlins ont inspiré des travaux traversant la segmentation géographique issue de la science coloniale – à quel point le champ politique est balisé par des régularités toujours reconstruites et néanmoins présentées comme immémoriales. L’analyse du conflit factionnel entre un patronat libéral mondialisé et une oligarchie d’entrepreneurs protectionnistes alliés aux politiciens écartés par l’ancien président est, par contre, lumineuse.
29La « scénarisation juridique du changement des dirigeants à Madagascar » (p. 64) est abordée dans un chapitre 2 mobilisant des références précises aux décisions juridictionnelles pour déconstruire l’instrumentalisation du droit constitutionnel dans la négation même de l’État de droit. La juridicisation de la société est également abordée dans le chapitre 8, plaidoyer en faveur du respect d’une légalité en construction. Raymond Ranjeva, ancien juge à la Cour internationale de justice de La Haye, souligne dans sa postface (p. 279-284) à quel point les Républiques successives ont éludé la question de la nature de l’État, assignant au constitutionalisme une fonction de « pure cosmétique » (p. 283) éloignée de la sédimentation pluriséculaire des monarchies. Sont aussi passés en revue l’instrumentalisation de la jeunesse urbaine, le balancement de l’armée entre une tentation prétorienne et le souci d’éviter toute violence trop forte, la résilience d’un magistère politique des Églises un peu vite enterré après l’échec de la médiation de 2009. La vitalité et les limites de la blogosphère sont passées au crible d’analyses soulignant le caractère de plus en plus transnational de la citoyenneté malgache, mais la faiblesse des effets politiques de la médiatisation internationale du pillage environnemental n’est pas occultée. L’énumération des « implicites de la crise malgache » (p. 211) fournit le support d’une présentation documentée de l’exploration croissante des potentialités minières et énergétiques de Madagascar.
30Cet ouvrage situé en lisière du champ académique relève le défi annoncé en introduction : rassembler des informations disparates et fournir le support d’un retour à soi, dans une société traversée par le doute et où la liberté d’expression est en recul manifeste. Il est assorti d’annexes documentaires et d’une riche bibliographie très structurée.
31Didier Galibert
26Cet ouvrage rassemble onze contributions inscrites dans un engagement orienté vers le refus du pouvoir malgache actuel dirigé par Andry Rajoelina, au cœur du paroxysme d’instabilité faisant suite au renversement du président Marc Ravalomanana en mars 2009. Ces textes à charge ont-ils leur place dans une collection de sciences sociales ? La réponse n’est pas simple parce que le livre brouille les genres, entrelaçant dans les mêmes textes des affirmations polémiques et des analyses stimulantes, juxtaposant des témoins militants et des universitaires inégalement distanciés.
27Ce livre composite dénote une remise à plat du politique chez des éléments dispersés de la classe moyenne urbaine ayant refusé de faire le choix de la rente. La segmentation et la confusion du débat politique reviennent comme un leitmotiv. Tous les auteurs posent avec passion les mêmes questions : qu’est-ce que la nation malgache ? Comment voulons-nous être gouvernés ?
28Le premier et le dernier chapitre sont signés par le coordinateur de l’ouvrage. Il souligne la nécessité d’emboîter les temporalités en considérant à la fois l’agenda de l’éviction de Marc Ravalomanana et « les causes endogènes lointaines » (p. 19) de l’instabilité, aucun régime n’ayant succédé au précédent sans l’intervention de la rue et de tout ou partie de l’armée. Les ambiguïtés du positionnement de la France sont justement évoquées, mais il n’est pas encore démontré, comme le suggère Randrianja (p. 14-16), que la diabolisation de Marc Ravalomanana par Andry Rajoelina et ses clientèles correspond à une conspiration longuement préparée. De même, l’affirmation d’une coordination nationale des pillages centrés sur les biens de Marc Ravalomanana est une hypothèse et non un fait avéré. Au-delà de ces réserves, la charge contre la notion de néopatrimonialisme et le rejet épistémologique du terme de tradition méritent le débat, Randrianja récusant toute vision essentialiste et « anhistorique » (p. 23) du politique à Madagascar. Si le paradigme wébérien de la domination patrimoniale mérite d’être amendé, on sait – Ranger et Sahlins ont inspiré des travaux traversant la segmentation géographique issue de la science coloniale – à quel point le champ politique est balisé par des régularités toujours reconstruites et néanmoins présentées comme immémoriales. L’analyse du conflit factionnel entre un patronat libéral mondialisé et une oligarchie d’entrepreneurs protectionnistes alliés aux politiciens écartés par l’ancien président est, par contre, lumineuse.
29La « scénarisation juridique du changement des dirigeants à Madagascar » (p. 64) est abordée dans un chapitre 2 mobilisant des références précises aux décisions juridictionnelles pour déconstruire l’instrumentalisation du droit constitutionnel dans la négation même de l’État de droit. La juridicisation de la société est également abordée dans le chapitre 8, plaidoyer en faveur du respect d’une légalité en construction. Raymond Ranjeva, ancien juge à la Cour internationale de justice de La Haye, souligne dans sa postface (p. 279-284) à quel point les Républiques successives ont éludé la question de la nature de l’État, assignant au constitutionalisme une fonction de « pure cosmétique » (p. 283) éloignée de la sédimentation pluriséculaire des monarchies. Sont aussi passés en revue l’instrumentalisation de la jeunesse urbaine, le balancement de l’armée entre une tentation prétorienne et le souci d’éviter toute violence trop forte, la résilience d’un magistère politique des Églises un peu vite enterré après l’échec de la médiation de 2009. La vitalité et les limites de la blogosphère sont passées au crible d’analyses soulignant le caractère de plus en plus transnational de la citoyenneté malgache, mais la faiblesse des effets politiques de la médiatisation internationale du pillage environnemental n’est pas occultée. L’énumération des « implicites de la crise malgache » (p. 211) fournit le support d’une présentation documentée de l’exploration croissante des potentialités minières et énergétiques de Madagascar.
30Cet ouvrage situé en lisière du champ académique relève le défi annoncé en introduction : rassembler des informations disparates et fournir le support d’un retour à soi, dans une société traversée par le doute et où la liberté d’expression est en recul manifeste. Il est assorti d’annexes documentaires et d’une riche bibliographie très structurée.
31Didier Galibert
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