Raison-Jourde
Françoise & Roy Gérard
Paysans intelectuels et populisme
Paysans intelectuels et populisme
Karthala
2010
Conclusion (page 447)
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Le
silence des historiens
Nous
avons, chemin faisant, constaté le silence des historiens, les
propos
de
surface des journalistes sur ces années cruciales. 11 reste pourtant
beaucoup à
recueillir, à critiquer, à comparer. Or l'histoire dite «
immédiate »
attire
peu à Madagascar, si l'on excepte les travaux menés à Tamatave et
à
Tuléar'''.(note
14) Le contexte de la capitale pèse-t-il en ce sens d'un poids
spécifique?
Les grands acteurs issus de familles illusfres, une fois morts et
passés
au
rang d'ancêtres, échappent à l'histoire, domaine de l'ambiguïté
et du contingent.
Intouchables
aux yeux de leurs descendants, ils ne peuvent avoir agi
que
selon l'ordre idéal de toute chose.
Pas de retour sur l'assassinat
du chef de
l'État, on laisse s'éteindre ceux qui avaient 15-20 ans en 1972 et
qui se sont
inscrits dans une « génération sacrifiée », comme s'ils
n'avaient pas été protagonistes
et acteurs de grands moments. Génération qui ne trouvera pas sa
place, le moment venu, en raison du comportement à son tour
malthusien de
ses aînés.
Et en remontant plus haut, on notera d'autres sujets
restés longtemps tabous
: traite et esclavage internes, jusqu'au colloque de 1996, édité par
Rakoto 1. ; soulèvement de 1947, jusqu'au colloque de 1997 et au
lancement d'un
Campus il y a dix ans.
Le manque de travaux sur la Première et la Seconde
République est flagrant, d'autant que les politistes n'ont commencé à
produire qu'à partir de la crise de 1991.
Certes
on nous dira que, tous retraités, nous disposons de temps - nous
avons
passé six ans sur ce travail -, que nous ne manquons ni d'argent, ni
de
bibliothèques,
ni d'archives, dans les limites ci-dessus précisées. Mais ces
arguments
matériels sont insuffisants. L'occultation volontaire de 1975 nous
paraît
jouer encore à distance, de même qu'elle a joué en France à
propos de
la
mort de Jean Moulin, de l'assassinat de Ben Barka. Nous avons donc
osé
aborder
notre sujet en nous souvenant que ce sont des historiens étrangers
comme
Paxton qui ont joué sur certains thèmes en France un rôle
d'incitateurs.
L'extériorité
est parfois un atout.
L'occultation
d'un certain nombre de possibles politiques ou de faits liés
à
la crise de 1975, le décalage entre langage et rapports de force,
voire violence
physique,
se reproduisent depuis lors, de crise en crise, chacune tirant
argument,
pour se légitimer, du « désastre » que fut le régime
précédent.
Le déni
de la contingence historique entraîne la difficulté de faire une
histoire enracinée
dans le réel.
Ceci entrave l'aptitude à tenir compte pour l'avenir
de ce
qui est arrivé. Cela fait également obstacle à la capacité à
parler entre Malgaches
de la Nation. Le donné insulaire délimitant naturellement cette entité
d'ordre politique n'amène-t-il pas à s'illusionner sur sa validité
? Tout se
passe comme si les élites de chaque groupe statutaire, de chaque
ethnie avaient
d'abord privilégié la communication avec l'étranger plutôt
qu'avec
l'autre
malgache. Certains coopérants n'ont-ils pas été plus nationalistes
que
les
Malgaches ?
11
n'existe pas de manuels scolaires dans l'enseignement public pour
une
histoire
d'envergure nationale (note 15) I1 existe par contre un regain
d'intérêt pour l'histoire
familiale et celle des groupes statutaires les plus élevés, selon
un processus
dialectique fort bien éclairé par S. Chazan {in
Raison-Jourde,1983
: 451-476) à propos du Fitampoha
: ce
ne sont plus les anciens sujetsqui
servent le roi.
Ils se servent de la royauté pour asseoir leur
légitimitépersonnelle
et redorer leur lustre. Leur intérêt est généralement autocentré.
La
fabrication de l'histoire est éclipsée, ou récupérée comme cela
se voit sur
des
sites Internet, au profit de mémoires de type familial, statutaire,
ethnique,
qui
sont des mémoires antagonistes.
Le souci de l'enracinement des
consciences dans
le passé se cantonne aux listes généalogiques.
Quant à ceux qui ne
peuvent en revendiquer que de très courtes, tant pis pour eux.
Jadis
c'était la
tâche du pouvoir d'arbitrer ces antagonismes. Aujourd'hui il n'y a
pas de leader
pour surmonter cela, rassembler un passé - fût-il épisodiquement imaginaire pour en faire une histoire commune ou chacun puisse espérer une place.
14.
Rappelons la vision divergente àce sujet de Monja . Pas un mot sur
les grandes familles. Ce sont Ralaimongo, Ranaivo ,Ravoahangy (ou lui
méme ) qu'il souhaite voir inscrits par "le peuple" dans
la mémoire historique et non généalogique des générations
futures "Un
jour viendra où le peuple jugera chacun de nous avant de le
consacrer " (Grand Récit)
15.
On lira à ce sujet les pages importantes de D. Galibert (2009 :
206-209) sur la
transaction
concernant le récit des origines, entre élites merina et
administration française et on
rappellera que les manuels parus sous la Pretnière République sont
toujours en usage.
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