vendredi 12 décembre 2014

Cas de conscience humanitaire Raphaëlle Rérolle @raphrerolle Le Monde Idée 13 déc.

13 décembre 2014

 

Cas de conscience humanitaire

 http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2014/12/11/cas-de-conscience-humanitaire_4538961_3212.html


Intervention de Médecins sans frontières, à Kailahun (Sierra Leone), le 10  juillet.
Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour MSF
En apportant une aide d'urgence aux Africains touchés par le virus Ebola, les ONG médicales mettent leur savoir-faire au service d'une cause juste. Pourtant, ces interventions ne sont pas sans effets pervers sur des pays qui sont affaiblis

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aMonrovia, capitale du Liberia, il vaut mieux souffrir d'Ebola que d'une appendicite : depuis des mois, les trois hôpitaux publics de cette ville de 1  million d'habitants sont fermés, à l'exception de deux unités de maternité et d'un service de réanimation. Pris d'assaut dès le commencement de l'épidémie, mal équipés, totalement -impréparés, ils ont fini par baisser pavillon. Le personnel soignant ne disposait ni de la formation ni du matériel pour se protéger, pas même de gants corrects. Résultat, des contaminations, puis des défections en série. " Sur la cinquantaine de médecins que comptait le Liberia - pour 4,4 millions d'habitants - , neuf sont morts ",-raconte le docteur Pierre Etsé -Ditri Sallah, coordonnateur de Médecins du monde (MDM) à Monrovia. Pourtant, par une cruelle ironie, ce ne sont pas les lits qui manquent en ville. Au contraire : avec la baisse du nombre de cas répertoriés ces dernières semaines, plus de la moitié des places disponibles dans les centres consacrés à la fièvre Ebola sont actuellement inoccupées.
Ces hôpitaux de campagne réservés à Ebola, -implantés et gérés par des pays ou des organisations non gouvernementales (ONG) étrangères ont été essentiels pour enrayer la propagation d'un virus terriblement létal. Depuis le début de l'épidémie, fin décembre  2013, la fièvre hémorragique a fait, selon le dernier bilan de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), un peu plus de 6 000 morts dans les trois principaux pays -concernés, Liberia, Sierra Leone et Guinée. Mais, dès septembre, des interrogations se sont fait jour : ces fonds déversés dans des pays en ruine, où les systèmes de santé méritent à peine leur nom, ne sont-ils pas un cautère sur une jambe de bois ? Voire pis, peut-être : un sauf-conduit implicitement délivré aux gouvernements des pays touchés, à qui l'aide extérieure d'urgence permettrait de poursuivre dans leur incurie ?
Ebola déchire le voile. Par son ampleur, l'épidémie agit comme le révélateur d'un dysfonctionnement colossal, dont les ONG médicales, le plus souvent admirables dans leur action, -seraient parties prenantes bien malgré elles. La question se pose avec une acuité particulière à ces organisations qui sont en première ligne dans les soins d'urgence. Notamment à la plus ancienne et la plus importante d'entre -elles, Médecins sans frontières (MSF), qui a lancé l'alerte dès le mois de mars, avertissant que, faute de mesures -appropriées, l'épidémie -deviendrait incontrôlable.
Après avoir fait longtemps la sourde oreille, plusieurs Etats ont fini par sortir de leur torpeur, début septembre, jetant dans la bagarre les forces nécessaires à la construction de centres -médicaux. Face à la terreur provoquée par cette maladie spectaculaire, mais aussi par crainte de voir la région basculer dans le chaos, les Etats-Unis, la Chine, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, Cuba et d'autres ont envoyé des fonds, du matériel, des médicaments, des équipes. L'urgence a produit des réponses d'urgence. Y compris des postes de santé que les ONG ont installés à l'automne, pour tenter de pallier la défaillance des hôpitaux publics et assurer des soins primaires aux malades qui n'ont pas Ebola.
Cette mobilisation, MSF en a été la cheville ouvrière. Pour secouer la communauté internationale, et notamment l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'ONG n'a pas hésité à crier au feu, puis à crier encore plus fort parce que personne ne l'écoutait. Sa présidente internationale, Joanne Liu, a dénoncé la responsabilité politique et humanitaire de la communauté internationale dans undiscours choc devant l'Assemblée générale des Nations unies. Le 18  septembre, fait rarissime, le Conseil de sécurité adoptait une résolution affirmant que " la progression sans précédent de l'épidémie (…) représente une menace pour la paix et la sécurité internationales ".
Les responsables de MSF ont-ils exagéré le -péril ? C'est ce que leur a reproché le président guinéen Alpha Condé, furieux de la mauvaise publicité faite à son pays. Placés sous perfusion de l'aide internationale, les gouvernements des pays secourus sont implicitement accusés de ne pas savoir prendre soin de leur population, de ne même pas avoir donné l'alerte à temps, et sont donc dépossédés d'une partie de leur souveraineté. Les -humanitaires, eux, détiennent une " légitimité officieuse ",pour reprendre l'expression de Rony Brauman, ex-président de MSF et toujours membre de l'association au sein du Centre de réflexion sur l'action et les savoirs humanitaires (Crash). " La peur de la maladie est un référent universel, analyse-t-il. C'est elle qui permet aux ONG médicales de s'implanter, elle qui leur donne leurs -lettres de créance. Mais cela heurte de plein fouet la souveraineté des Etats touchés, qui se trouvent -indirectement accusés. Bien sûr, personne ne nous a désignés pour porter cette accusation -collective, mais il y a des dérapages utiles. "
Ce n'est pas un hasard si la notion d'ingérence humanitaire a fait partie de la définition de départ des missions de Médecins sans frontières, dans les années 1970. " Notre -culture de médecins nous pousse à mettre de côté les obstacles politiques et culturels qui se dressent entre nous et le patient, -expliqueRony Brauman : il y a un malade, et des soins possibles, tout doit se plier à cela. "
Cette culture de l'urgence et de l'ingérence a ses détracteurs. Notamment ceux qui dénoncent le nouvel ordre sécuritaire mondial auquel elle participerait. " En se préparant aux pandémies du futur, par exemple  H1N1, qui n'est jamais venue, en dépensant depuis dix ou quinze ans plus d'argent dans ce sens que -jamais auparavant,affirme Guillaume Lachenal, historien de la médecine et spécialiste de l'Afrique, la communauté internationale a fait le lit de l'épidémie d'Ebola, en ne venant pas en aide aux systèmes de santé des pays d'Afrique. " Pour prendre une métaphore médicale, cela reviendrait à poser un pansement perfectionné sur une plaie non désinfectée.
Le chercheur rappelle que la politique d'austérité imposée par le FMI et la Banque mondiale à ceux qu'on appelle pudiquement les " pays du Sud ", dans les années 1990, a fait des ravages sur des infrastructures sanitaires déjà brinquebalantes. Selon lui, la vision néolibérale d'une " santé globale " s'est imposée. " On est passé d'un modèle où les Etats étaient censés prendre en charge la santé publique à un modèle de sécurité sanitaire plus mondialisé, où ils sont amputés de leurs moyens et de leurs responsabilités. Le cœur de leur action se réduit à être capables de donner l'alerte. " C'est dans cet espace béant que les ONG interviennent, en faisant de leur mieux. Et en donnant, selon Guillaume Lachenal, un " visage compassionnel " aux politiques de santé inspirées par des considérations stratégiques.
" Je suis plein d'admiration pour MSF, j'en fais partie, souligne de son côté Vinh-Kim Nguyen, médecin et anthropologue, professeur à l'Ecole de santé publique de l'université de Montréal, au Canada. Mais ils se sont trouvés piégés par Ebola, contraints de gérer seuls, pendant des mois, une situation ingérable. " Dans des pays à peu près d'aplomb, Ebola n'aurait pas été " ingérable ". C'est une maladie tueuse, mais relativement peu virulente : une personne atteinte en contamine 1,75  autre, contre 10  ou 15  pour la grippe. Pour qu'elle soit transmise, il faut que les malades soient très malades, et les contacts très rapprochés.
Dans des endroits comme le Liberia, la Sierra Leone ou la Guinée, il en va tout autrement. " Le budget mensuel des hôpitaux publics est épuisé en trois jours, il n'y a pas de chambres individuelles et le personnel réutilise du matériel jetable, parce que mieux vaut des gants usagés que pas de gants du tout ", explique Michel Janssens, un médecin belge qui -revient d'une mission de deux mois pour MSF, à Monrovia. Au manque de moyens s'ajoute la faiblesse de la formation : " La moitié des morts parmi le personnel de santé auraient pu être évitées grâce à des méthodes simples de prophylaxie : se laver les mains et les pieds à l'eau de javel, par exemple ", insiste Gilbert Potier, directeur des opérations internationales pour Médecins du monde (MDM). Encore faudrait-il un nombre suffisant de points d'eau dans les hôpitaux, ce qui est très loin d'être le cas.
En répondant le mieux possible à un état de crise, permet-on au " normal " de rester tout à fait anormal ?Du point de vue des -humanitaires, le dilemme n'en est pas vraiment un : face à ce que Bruno Jochum, directeur de MSF Suisse, appelle un " vacuum de responsabilités publiques ",la question s'est pourtant posée. Le débat a même été vif, au sein de MSF. " Nous nous sommes demandé jusqu'où aller, se souvient Bruno Jochum. Fallait-il -intervenir plus, au risque de conforter les -acteurs locaux dans leur inaction ? Devait-on continuer à ouvrir des centres ? " Des discussions assez théoriques, reconnaît-il, face à des gens qui agonisent. Comme le rappelle Rony Brauman, " des malades ont été soignés, prévenus, nous leur avons apporté une aide réelle, vitale, et, après tout, c'est notre raison d'être ".
Pour sortir de cette impasse, il faudrait aider les pays du Sud à se reconstruire. " Les -conduire petit à petit sur le chemin de l'autonomie ", préconise l'ancien ministre de la santé et ancien président de la Croix-Rouge Jean-François Mattei, qui vient de publier un vibrant plaidoyer intitulé L'Humanitaire à l'épreuve de l'éthique (Les Liens qui libèrent, 150  p., 15  €). Tâche gigantesque, compte tenu des besoins et de la corruption des dirigeants, dans bien des pays d'Afrique. " Leurs poches sont sans fonds ", soupire Michel Janssens.
Quelle part les ONG peuvent-elles prendre dans cette entreprise de réhabilitation ? Toutes cherchent à collaborer avec les gouvernements en place, ne serait-ce que par nécessité. Mais les résultats sont souvent fragiles. Entre 2003 et 2013, MDM a travaillé avec les responsables de l'administration libérienne pour remettre sur pied le système de santé, très -endommagé par la guerre civile. " Puis est arrivé Ebola, et tout est à recommencer ",constate Pierre Etsé Ditri Sallah, coordonnateur de cette ONG.
" Soigner dans des systèmes aussi malades, c'est difficile,estime Michel Janssens. Les ONG ne peuvent faire que du symbolique. " La question ne se limite pas aux obstacles techniques. Elle recoupe un débat qui traverse toute l'histoire de MSF, comme le montre très bien Jean-Hervé Bradol, lui aussi membre du -Centre de réflexion sur l'action et les savoirs humanitaires. Dans un livre collectif intitulé Agir à tout prix ? (La Découverte, 2011), ce -médecin écrit qu'au début des années 1990, " l'idée même que l'humanitaire devrait avoir pour objectif de concourir au développement était remise en cause ".
La définition proposée à l'époque précise que " l'aide humanitaire n'a pas pour ambition de transformer une société, mais d'aider ses membres à traverser une période de crise ". Le tiers-mondisme des années 1970 a fait long feu. Entre-temps, l'ONG a connu des expériences contestables – au Tchad par exemple, où la section belge de l'association a fini par gérer, de facto, le système de santé du pays, au milieu des années 1980. Une mission d'assistance technique très " parachutée ", puisque les neuf dixièmes des responsables médicaux de l'opération étaient des expatriés. Pas idéal pour préparer l'avenir. Sans compter, observe Michel Janssen, qu'on ne peut pas " retaper tout un pays uniquement par la santé… "
Pour sortir de ce qui ressemble à la quadrature du cercle, les humanitaires devraient avoir " l'éthique " comme boussole, soutient Jean-François Mattei. Autrement dit, ne pas essayer de faire le bien des autres malgré eux, suggère le médecin qui a placé en exergue de son livre une phrase attribuée à Nelson -Mandela : " Tout ce qui est fait pour moi sans moi est fait contre moi. " La Croix-Rouge, dont il fut le président, fait encore de l'urgence, mais de plus en plus de la formation et de la réhabilitation. " L'objectif n'est pas seulement de sauver quelqu'un, mais de lui offrir ensuite une machine à coudre, assure M.  Mattei. Dire aux gouvernements : on va faire les choses à -votre place, mais il faut que vous soyez dans la barque pour la suite… "
Les humanitaires, eux, rappellent qu'ils ne se contentent pas d'intervenir dans les situations de crise. " Chez nous, l'urgence est culturellement dominante, mais pas quantitativement ",souligne Rony Brauman. Campagnes de vaccination ou de prévention, la gamme des opérations est vaste. Une preuve, parmi d'autres : quand un tremblement de terre a secoué Haïti, en  2010, MSF a aussitôt pris la mesure du drame parce que des équipes étaient déjà sur place pour un programme de longue haleine. Surtout, les ONG médicales s'efforcent de resserrer les liens avec les pays concernés par leur action. En octobre, MSF a chargé des chefs de quartier des bidonvilles de Monrovia de distribuer des antipaludéens pour éviter les crises de malaria -sévères dans une ville où il n'était plus possible de les soigner.
Par ailleurs, indique Jean-Hervé Bradol, " MSF fonctionne avec 90  % de personnel -national dans les pays touchés par Ebola ". Mais là encore, rien n'est simple : les " nationaux " courent plus de risques que les expatriés, notamment parce qu'ils poursuivent des activités cliniques peu protégées en -dehors de leurs consultations Ebola. Or, en cas de contamination, ils ne seront pas rapatriés. Le problème suscite l'émotion dans l'association, au point qu'une résolution a été -votée en conseil d'administration de MSF pour " regretter profondément " la situation.
Chez MDM, explique Gilbert Potier, on mise sur des " agents de santé communautaires ",-issus des pays concernés par l'épidémie, pour convaincre leurs compatriotes d'adopter les précautions nécessaires. " Face aux défis d'Ebola, nous nous sommes posé beaucoup de questions,note Bruno Jochum. Comment gérer la relation avec les populations ? Comment prendre en charge sans faire peur ? " Les ONG essayent de comprendre les mécanismes culturels des pays dans lesquels ils débarquent. Ebola leur aura appris, à leurs dépens, qu'il n'est pas facile de faire le bien : les réactions d'hostilité auxquelles ils ont dû faire face, en Guinée notamment, montrent bien que la logique des uns n'est pas forcément celle des autres. La plupart des associations ont désormais recours à des anthropologues qui leur permettent de déchiffrer les réactions des habitants, voire de les anticiper.
" On traverse l'épidémie, mais c'est elle qui nous fait avancer ", observe Jean-Hervé -Bradol. Aura-t-elle aussi fait avancer les pays qu'elle ravage, à sa manière paradoxale ? Selon Rony Brauman, les populations concernées sont tout sauf aveugles. " Les interventions extérieures n'ont pas un effet anesthésiant. Lorsque des étrangers font ce que leurs Etats devraient faire, les gens ne se disent pas que les étrangers sont légitimes, mais que leur Etat devrait jouer son rôle. Ils en font un reproche politique. " La route reste longue pour ces pays abandonnés par leurs dirigeants, où l'opinion publique pèse si peu. Mais il n'est pas impossible d'espérer que les efforts -accomplis pour une meilleure maîtrise de la santé finissent un jour par fabriquer plus que de la santé : du politique.
Raphaëlle Rérolle, Raphaëlle Rérolle
© Le Monde

mercredi 10 décembre 2014

Jeune Afrique Hors série n° 39 Afrique en 2015

http://www.jeuneafrique.com/img/boutique/sommaire_eaf-2015.pdf 
tout article dispo sauvegarde perso, sur #madagascar, pièce jointe à mail
notamment Mbembe Achille ++




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